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Vers un refroidissement de l’europe ?

Les eaux profondes océaniques suivent un circuit bien identifié autour de la planète Ñ parcouru en près de deux mille ans. L’analyse isotopique d’organismes marins fossiles a montré que la vitesse de ce flux avait varié dans le passé, et qu’un ralentissement se traduisait par le refroidissement des régions auxquelles l’océan apporte de la chaleur. Or l’augmentation des pluies induite par le changement climatique qui est probablement en train de se produire pourrait ralentir cette circulation et, du coup, refroidir le climat européen.

L’océan est généralement considéré comme un régulateur du climat. En été, l’eau de mer absorbe le rayonnement solaire intense, mais s’échauffe peu en raison de sa forte capacité calorifique. En hiver, elle restitue la chaleur emmagasinée pendant l’été, de sorte que l’océan joue le rôle d’un gigantesque volant thermique qui atténue l’amplitude des variations saisonnières de la température des zones côtières. En outre, les eaux superficielles qui baignent les côtes françaises proviennent de l’océan Atlantique subtropical et leur température reste généralement comprise entre 10 °C et 20 °C, ce qui assure des conditions tempérées à la Bretagne. En revanche, c’est un courant d’eau froide, venant de l’océan Glacial Arctique qui s’écoule le long du Groenland et contribue à y maintenir un climat rigoureux, même pendant l’été.

En 1988, un géologue allemand, Hartmut Heinrich, a eu son attention attirée par l’existence dans les sédiments atlantiques de plusieurs couches sombres, épaisses de quelques centimètres. Leur analyse a montré qu’elles étaient surtout constituées de débris de roches continentales qui, en raison de leur poids, ne pouvaient avoir été transportés que par des icebergs. L’équipe de paléoclimatologie du Lamont Doherty Earth Observatory de New York et celle du Centre des faibles radioactivités de Gif-sur-Yvette ont montré en 1992 que ces dépôts couvraient la quasi-totalité de l’océan Atlantique au nord des Açores et qu’ils correspondaient à des événements bien définis de débâcles massives d’icebergs relâchés par les glaciers canadiens ou nord-européens et connus sous le nom d’« événements de Heinrich ».

Les calottes glaciaires qui recouvraient les continents de l’hémisphère nord n’étaient pas très stables et, tous les sept à dix mille ans, la glace qui bordait l’océan Atlantique glissait dans la mer, provoquant une montée des eaux de plusieurs mètres en quelques siècles. La composition isotopique des rares foraminifères trouvés dans les sédiments de cette époque présente des rapports 18O/16O très faibles, ce qui indique que les icebergs constitués de glace très pauvre en 18O fondaient pendant l’été, provoquant une diminution importante de la salinité des eaux superficielles(3), un ralentissement de la circulation océanique et un renforcement du froid sur l’ensemble de la planète : il a été sensible en Europe, mais aussi en Floride où la végétation tropicale a été remplacée par une forêt de pins, et en Asie qui était balayée par les vents glacés de nord-est pendant l’hiver. Dès que les apports d’icebergs cessaient, le tapis roulant océanique reprenait un rythme plus soutenu et des conditions moins défavorables revenaient, même si la présence des glaciers qui s’étaient maintenus empêchait l’établissement de conditions aussi clémentes qu’aujourd’hui.

Le dernier événement d’Heinrich date d’environ 15 000 ans. Toutefois, l’hémisphère nord a connu un fort coup de froid il y a environ 11 000 ans, alors que les glaciers fondaient et que notre planète passait vers les conditions chaudes actuelles en réponse à l’augmentation de l’insolation d’été sur l’hémisphère nord associée au cycle calculé par Milutin Milankovitch au début du siècle.

Ce coup de froid inattendu est appelé « Dryas Récent ». En moins de cent ans, les températures moyennes annuelles ont chuté d’une dizaine de degrés sur la France ainsi qu’au large de la Bretagne ou du Portugal. Le refroidissement a également affecté le Groenland et le nord de l’océan Pacifique, tandis que la sécheresse sévissait en Afrique. Les sédiments de l’Atlantique nord ont bien enregistré la baisse des températures, mais ils ne contiennent pas de quantité significative de débris transportés par les icebergs. En revanche, ils contiennent des cendres relâchées par un volcan islandais. Le volcanisme, dont l’effet sur le climat est temporaire, ne peut être responsable de ce coup de froid qui a duré près d’un millénaire.

La présence de cendres dispersées sur tout l’Atlantique nord témoigne de l’existence de glaces dérivantes, déversées massivement dans la mer du Groenland et l’océan Atlantique nord par l’océan Glacial Arctique. La production accrue de glace de mer dans cet océan est vraisemblablement liée à l’augmentation de débit de la rivière Mackenzie dont le bassin d’alimentation recevait davantage de pluie et qui, de surcroît, venait de capter les eaux de fonte de la calotte glaciaire canadienne. En outre, la mer dont le niveau montait, venait juste d’envahir le vaste plateau continental qui ceinture l’océan Glacial Arctique et qui constitue une zone favorable à la production de glace de mer. Expulsées de l’océan Arctique au travers du détroit de Fram, ces glaces ont provoqué en fondant une forte baisse des salinités, un ralentissement du rythme de plongée des eaux superficielles de l’océan Atlantique nord et du tapis roulant océanique, avec pour conséquence une diminution sensible de l’apport de chaleur sur l’Europe.

Les études paléoclimatiques confirment bien que les conditions clémentes régnant actuellement sur l’Europe occidentale dépendent étroitement du transport de chaleur par les courants marins et que la circulation générale de l’océan est extrêmement sensible aux variations des apports d’eau douce sur l’Atlantique Nord. Cette sensibilité constitue le talon d’Achille du tapis roulant océanique.

Le climat de notre planète est en train de changer. Les mesures effectuées dans les stations du réseau météorologique mondial montrent que la Terre se réchauffe depuis le début du vingtième siècle(4). L’augmentation des températures est particulièrement sensible depuis une dizaine d’années et beaucoup de climatologues pensent que les hommes en sont, au moins en partie, responsables. En effet, les activités industrielles et agricoles ont provoqué l’augmentation de la teneur en gaz carbonique de l’atmosphère qui est passée de 280 ppm (1 ppm, ou partie par million, représente ici 1 cm3/m3) à l’époque de Louis XIV à 360 ppm aujourd’hui. Elles ont nettement accru les teneurs en méthane, oxydes d’azote, composés organo-fluorés gazeux et poussières (aérosols soufrés et carbonés). Tous ces gaz contribuent à augmenter l’effet de serre de la planète et à réchauffer la basse atmosphère, tandis que les aérosols ont l’effet inverse.

Il est cependant bien difficile de prédire comment le cycle hydrologique sera perturbé. D’abord parce qu’il présente une variabilité considérable, ensuite parce qu’il est encore très mal connu en raison de la médiocrité et du faible nombre d’observations en milieu océanique. C’est un phénomène d’observation courante qu’il pleut beaucoup plus au-dessus des îles montagneuses sur lesquelles butent les masses d’air humide que sur l’océan lui-même. Les enregistrements obtenus dans les stations météorologiques installées dans les îles ne permettent donc pas de mettre en évidence un changement dans la quantité moyenne de pluie au dessus de l’Atlantique nord.

Plusieurs observations paléoclimatiques montrent en effet que les modifications de la circulation océanique qui en résulteraient pourraient entraîner un refroidissement rapide de l’Europe occidentale. Le Dryas Récent, nous l’avons vu, est un exemple typique dans lequel une injection massive de glace depuis l’océan Arctique peut déstabiliser le climat de l’hémisphère nord, et peut-être même de l’ensemble de la planète. Il est probable que dans ce cas, la quantité d’eau douce injectée dans l’océan Arctique a été particulièrement forte en raison de la coïncidence entre une période de pluies intenses sur le Canada et la capture par la rivière Mackenzie d’un lac qui collectait l’eau de fonte des calottes glaciaires voisines.

Beaucoup plus récemment, dans les années 1965-1976, le climat de la Terre a connu une évolution curieuse au cours de laquelle le réchauffement de la planète était surtout marqué dans l’hémisphère Sud, alors qu’une grande partie de l’hémisphère nord subissait un refroidissement, notamment dans l’Atlantique(6). Les glaces, qui étaient très rares depuis 1920, ont alors bloqué la totalité de la côte nord de l’Islande à la fin de l’hiver et au début du printemps. L’impact économique a été considérable et a provoqué la dévaluation de la monnaie islandaise.

Océanographes et climatologues ont découvert, avec dix ans de retard, que cette crise climatique avait été associée à un accroissement des pluies et des neiges sur le continent nord- américain dans les années 1964-1966, suivi de la production massive de glace de mer par l’océan Arctique. Cette glace a été expulsée dans la mer du Groenland où elle a donné lieu à une baisse de salinité lorsqu’elle fondait en été ; la variation a été tellement forte que les océanographes l’ont désignée sous le nom de « Grande A nomalie de salinité ». La nappe d’eau superficielle peu salée a ensuite fait le tour de l’océan Atlantique nord ; elle s’est mélangée progressivement avec les eaux sous-jacentes et a disparu vers 1980 (fig. 4). En stratifiant les eaux superficielles, elle a ralenti la convection hivernale ainsi que le transport de chaleur vers les hautes latitudes.

Cet exemple, qui s’est déroulé sous nos yeux, constitue peut-être un modèle réduit du « Petit Age glaciaire » qui a duré trois siècles, du règne de Louis XIV à celui de Napoléon III. En effet tous les indices concordent pour suggérer que cet événement froid pourrait bien être associé à un caprice de l’océan Atlantique. Les historiens confirment qu’il a surtout affecté l’hémisphère nord, qu’il a été particulièrement marqué en Europe, tandis que les archives des ports indiquent que les glaces bloquaient l’Islande de dix à vingt-cinq semaines par an, le record étant pour l’année 1750 de neuf mois d’englacement. Une production accrue de glace de mer arctique et un ralentissement de la circulation océanique pourraient bien être les responsables de ce coup de froid qui a tant marqué notre histoire.

Ainsi, l’océan considéré traditionnellement comme un stabilisateur du climat pourrait devenir un agent déstabilisateur pour peu que le cycle hydrologique soit perturbé. L’évolution climatique des prochaines décennies risque d’être pleine de surprises.

source et extrait de : http://www.larecherche.fr Jean-Claude Duplessy

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