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Le Monde sans nous

Air connu : une espèce s’éteint et toute l’harmonie de la nature est affectée. Si cette espèce, c’était la nôtre ? Notre absence romprait-elle l’équilibre écologique ? Notre absence appauvrirait-elle un tant soit peu notre bonne vieille planète ?

La réponse des scientifiques les plus en vue : la vie sur terre continuerait et la nature reprendrait ses droits. Point final bâton.

Si les êtres humains disparaissaient, prétend l’ornithologue Steven L. Hilty, un tiers au moins de tous les oiseaux de la planète ne s’en apercevraient même pas !

Sont bien chanceux, ces oiseaux…

Supposons quand même que l’invraisemblable se produise. Supposons qu’un virus spécifique à l’homo sapiens nous anéantisse. Essayons d’imaginer un monde dont nous aurions soudain disparu.

Le journaliste américain Alan Weisman s’est livré à cet exercice. Un exercice qui relève autant de la science fiction que de la réalité. Résultat, un reportage étourdissant de 400 pages publié par Thomas Dunne Books et intitulé The World without us.

Flammarion s’est chargé de l’adaptation française sous le titre Homo Disparitus.

Je préfère le titre original : le Monde sans nous. C’est plus direct, plus précis, plus efficace. En un mot, plus percutant.

Alan Weisman n’est pas le premier à s’aventurer sur ce terrain. En 1996, la journaliste Laura Spinney publiait un article dans le New Scientist Magazine pour dépeindre la région de Londres redevenue le marais qu’elle était autrefois. Les ruines de Canary Wharf envahies par les ajoncs…

L’année suivante, l’écrivain Ronald Wright reprenait l’idée avec le roman A Scientific Romance dans lequel il évoquait cette même région de Londres suffocant de chaleur. Les ruines de Canary Wharf envahies par le sable…

Sujet à la mode, le réchauffement de la planète est une source d’inspiration inépuisable.

C’est Josie Glausiusz, rédactrice en chef du Discover Magazine, qui a soufflé l’idée de son « reportage » à Alan Weisman après qu’il ait publié dans Harper’s un article décoiffant dans lequel il racontait comment la faune et la flore ont repris possession de Tchernobyl quelques mois après la catastrophe que l’on sait.

Plutonium ou pas, les oiseaux migrateurs nichent là comme s’il n’était jamais rien arrivé. Mieux encore, l’écosystème entourant le réacteur détruit semble avoir profité de l’absence de l’homme !

Professeur à l’Université d’Arizona, Alan Weisman pratique un journalisme qui se veut crédible et sérieux. Des revues aussi prestigieuses que The New York Times Magazine, The Atlantic Monthly ou Discover Magazine se disputent ses articles.

C’est un professionnel capable de faire la part des choses. Une qualité rare, dans ce métier.

Un exemple ? L’hyperbole à propos des changements climatiques. Alors que les médias s’excitent la manchette parce que les modèles mathématiques anticipent soit un réchauffement gobal, soit un refroidissement (à cause de la perturbation de l’effet tapis roulant du Gulf Stream), Alan Weisman préfère s’en tenir à cette troisième hypothèse rarement évoquée : « Les deux phénomènes, réchauffement et refroidissement, seront probablement en partie tempérés l’un par l’autre. »

Comme vous, sans doute, j’apprécie cette façon de voir et de dire car elle est dénuée de dogmatisme et de sensationnalisme.

Donc, il a écrit un livre assaisonné de nombreux si pour tenter d’imaginer ce que deviendrait notre bonne vieille planète sans nous.

Il s’efforce de répondre à ces questions : la nature reprendrait-elle ses droits ? Combien faudrait-il d’années au climat pour retrouver son niveau d’avant l’âge industriel ? Qu’adviendrait-il des réacteurs de nos 441 centrales nucléaires ? Quel animaux nous survivraient et lesquels ne nous survivraient pas ?

Les réponses à ces questions sont parfois difficiles à croire.

L’homme a profondément marqué la Terre de son empreinte. S’il venait à disparaître — hypothèse hautement improbable à court terme pour mille et une raisons que l’auteur détaille — il laisserait tout un héritage.

Comme il est Américain et un peu chauvin, Alan Weisman s’intéresse d’abord à ce qui se passerait aux États-Unis une fois la nature laissée à elle-même.

Dans un chapitre stupéfiant, il explique comment les éléments ne feraient qu’une bouchée de la ville de New York. Son gigantisme ne la protégerait pas.

Imaginez-vous qu’une quarantaine de rivières souterraines sillonnent l’île de Manhattan. Les tunnels du métro échappent aux inondations grâce à l’action combinée et permanente de 753 pompes. L’homme disparu, il n’y a plus d’électricité et ces tunnels se remplissent d’eau. Submergées elles aussi, les fondations des édifices se lézardent. Les gratte-ciel finissent par s’effondrer les uns après les autres. Les plus lourds d’abord…

Bonne nouvelle : sans l’homme et ses montagnes de déchets, les rats et les cafards ne peuvent survivre.

Bonne nouvelle encore : très solidement construits, les ponts de New York résisteront 200 ou 300 ans !

Entre deux descriptions apocalyptiques, l’auteur livre des informations curieuses, inopinés, parfois amusantes. Comme celle-ci : la biomasse totale de l’humanité (traduction : tous les corps humains) ne remplirait même pas le Grand Canyon. Ou comme celle-là : conservé à l’abri de l’humidité, ce journal que vous avez entre les mains serait encore lisible dans 10 000 ans.

En disparaissant sans crier gare, les Américains laisseraient deux bombes à retardement derrière eux. L’une, c’est l’immense complexe pétrochimique de Texas City. L’autre, ce sont les éléments radioactifs des centrales et des armements nucléaires.

À la longue, estiment les scientifques, la nature en viendrait à bout. Mais il faudrait compter en dizaines de milliers d’années pour les produits dérivés du pétrole (pensez aux plastiques) et en millions d’années pour les déchets radioactifs.

En prime, cette information à la fois triste et risible : les États-Unis stockent leurs résidus radioactifs dans des grottes souterraines au Nouveau-Mexique. C’est le Waste Isolation Pilot Plant.

Très à cheval sur la légalité, l’Oncle Sam a demandé à ses juristes de pondre un règlement interdisant l’accès au site pour les… 10 000 ans à venir ! Règlements gravés sur des dales de granit.

Très bien, mais parlera-t-on encore anglais dans 10 000 ans ?

Quelques réalisations humaines résiteront à l’usure du temps. Parmi celles-ci, le tunnel sous la Manche et les monumentales sculptures des quatre présidents américains au Mont Rushmore.

Quoi d’autre ? Les sondes Pioneer et Voyager continueront leur errance dans l’espace intersidéral. De même que les signaux émis par nos stations de radio et de télévision.

ALAN WEISMAN. Homo Disparitus. Flammarion. 400 pages

source : http://www.cyberpresse.ca/

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