Peut-on prédire les « mers laiteuses » bioluminescentes ?
Les scientifiques pourraient enfin étudier les immenses taches lumineuses de l’océan s’ils savaient où elles apparaissent. Pour la première fois, un chercheur a trouvé une « mer laiteuse » sans se fier au simple hasard.
Pendant des siècles, les marins ont été émerveillés et mystifiés par un phénomène rare : l’eau autour de leur navire qui brillait à perte de vue. Les scientifiques ont eu du mal à étudier ces mers laiteuses parce qu’ils n’avaient aucun moyen de savoir quand et où elles se produiraient.
Mais aujourd’hui, à l’aide de données météorologiques et de températures océaniques, le spécialiste de l’atmosphère Justin Hudson, de l’université d’État du Colorado à Fort Collins, a réussi à prédire – ou plutôt à postdire – l’apparition de ce phénomène.
En se basant sur des rapports historiques de mers laiteuses et sur des informations concernant les conditions locales à l’époque, Hudson a développé un algorithme qui indique quand et où les conditions océaniques sont propices à l’apparition de mers laiteuses. Cet algorithme l’a conduit à des images satellites prises en 2017 de l’océan Indien au sud de l’île de Java, en Indonésie.
Une mer laiteuse – jamais remarquée auparavant – est apparue à l’endroit même où son algorithme l’avait annoncée, a rapporté M. Hudson le 24 juin lors d’une réunion de l’American Meteorological Society.
Une fois développée, cette méthode pourrait permettre de prévoir l’apparition d’une mer laiteuse, de sorte qu’un navire de recherche aurait plus de chances d’en voir une. L’étude approfondie des mers laiteuses – dont on pense qu’elles sont causées par la prolifération d’algues et de bactéries émettant de la lumière – pourrait aider à expliquer leur formation et leur persistance, ajoute-t-il.
Des mers laiteuses ont été signalées dans les eaux tropicales du monde entier. Sur la base des rapports des marins des deux derniers siècles et des images satellites prises depuis 2012, M. Hudson estime qu’elles ne se produisent que deux ou trois fois par an, le plus souvent dans la mer d’Arabie et au sud de Java. Mais il ne s’agit que d’une estimation approximative, précise-t-il. Les navires ne sont pas toujours là, et les satellites météorologiques ne peuvent voir les mers laiteuses que lors des nuits sans lune.
Jusqu’à présent, une mer laiteuse n’a été étudiée par les scientifiques qu’une seule fois. En 1985, un navire de recherche de la marine américaine a eu la chance d’en trouver une dans la mer d’Arabie. Les échantillons d’eau prélevés dans cette mer contenaient de fortes concentrations d’une algue appelée Phaeocystis et d’une bactérie appelée Vibrio harveyi. Cultivées en laboratoire dans un flacon, ces bactéries émettent de la lumière lorsque leur concentration augmente.
Selon Hudson, on suppose que les mers laiteuses sont causées par les conditions océaniques qui créent une « fiole naturelle », une masse d’eau où la température et la disponibilité des nutriments permettent une augmentation explosive des algues et des bactéries qui utilisent les algues comme substrat pour se développer. Il peut en résulter des densités de plus de 100 millions de microbes par millilitre sur une étendue dépassant parfois 100 000 kilomètres carrés. Normalement, l’eau de mer contient environ 10 de ces bactéries par millilitre.
« Il y a encore beaucoup de choses que nous ne savons pas sur [la mer laiteuse], si ce n’est qu’elle doit être causée par des bactéries », déclare Steven Haddock, biologiste marin au Monterey Bay Aquarium Research Institute à Moss Landing (Californie), qui collabore avec Hudson sur la recherche sur les mers laiteuses. « Quels sont les substrats qui alimentent la croissance de ces quantités massives de bactéries et quels sont les facteurs environnementaux qui les empêchent de se diluer dans la colonne d’eau ?
Pour déterminer le moment le plus propice à l’apparition d’une mer laiteuse, M. Hudson a rassemblé les rapports sur les mers laiteuses entre 1960 et 2023 au sud de Java. Il a également recueilli des données environnementales concomitantes, telles que l’état de l’oscillation australe El Niño, qui provoque le réchauffement des eaux du Pacifique mais augmente également la pression atmosphérique au-dessus de l’Indonésie, et la mousson australienne, qui, chaque été austral, apporte des pluies dans la région. Après avoir établi un lien entre ces deux séries de données, son algorithme pourrait l’orienter vers d’autres événements antérieurs possibles.
Selon M. Hudson, l’approche utilisée pour remonter dans le temps en vue d’observer une mer étoilée devrait également fonctionner avec les prévisions des conditions océaniques, bien que celles-ci soient plus incertaines que les conditions enregistrées. « Sur la base des informations dont je dispose actuellement, je ne me sentirais pas à l’aise pour faire une prédiction pour l’avenir, si ce n’est que la période entre juin et octobre serait légèrement plus [probable] ou moins susceptible d’avoir une mer laiteuse ». Il espère développer suffisamment le système pour pouvoir faire des prédictions pour un mois donné.
Selon Youri Timsit, biologiste à l’Institut méditerranéen d’océanographie de Marseille (France), qui n’a pas participé à l’étude, ces prévisions pourraient être encore plus précises une fois que l’on en saura plus sur les interactions entre les bactéries et le plancton environnant. « Tous ces organismes pourraient se multiplier à très grande échelle à la surface de la mer, de manière collective et en se renforçant mutuellement.
Un autre facteur important, selon Timsit, pourrait être l’influence des terres avoisinantes, « comme l’ensemencement des surfaces marines par des vents transportant du sable ou des sédiments ». Ces phénomènes sont fréquents dans les mers proches des déserts, comme la mer d’Arabie. »
Adaptation Terra Projects
source : https://www.sciencenews.org/
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