L’histoire du Groenland est « plus verte » qu’on ne le pensait

Une nouvelle analyse d’échantillons prélevés sous la calotte glaciaire du Groenland révèle que l’île arctique était beaucoup plus verte il y a 416 000 ans. Ces résultats infirment les idées reçues selon lesquelles le glacier continental du Groenland, qui couvre environ 80 % de la masse terrestre de 836 000 milles carrés, a persisté pendant les deux millions et demi d’années écoulées.
« Nous découvrons que la calotte glaciaire est beaucoup plus sensible au changement climatique que nous ne le pensions », explique Tammy Rittenour, géoscientifique à l’université d’État de l’Utah. « C’est un signal d’alarme inquiétant ».
Mme Rittenour, avec des collègues de l’université du Vermont et de quatorze autres institutions, fait part de ses conclusions dans le numéro du 20 juillet 2023 de la revue Science.
Un Groenland plus vert signifie que la formidable calotte glaciaire de l’île, épaisse de près de trois kilomètres par endroits, n’est pas aussi stable qu’il n’y paraît.
« Nous avions toujours supposé que la calotte glaciaire était restée à peu près la même depuis près de 2,5 millions d’années », explique M. Rittenour, professeur au département des géosciences de l’USU. « Mais notre étude indique qu’elle a suffisamment fondu pour permettre la croissance de mousses, d’arbustes et d’insectes bourdonnants au cours d’une période interglaciaire appelée stade isotopique marin 11, il y a entre 424 000 et 374 000 ans.
La fonte a provoqué une élévation du niveau de la mer d’au moins 1,5 mètre dans le monde entier, explique-t-elle. « Certains de nos scénarios de modélisation suggèrent des niveaux de mer jusqu’à 20 pieds plus élevés qu’aujourd’hui.
« Il s’agissait d’une période de réchauffement exceptionnellement longue, avec des niveaux modérément élevés de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère », explique M. Rittenour. « Ce qui est alarmant dans cette découverte, c’est que les niveaux actuels de CO2 sont 1,5 fois plus élevés.
Même si l’homme cessait brusquement ses activités qui contribuent aux émissions de gaz à effet de serre, dit-elle, « nous aurions encore des niveaux de CO2 élevés pendant des centaines, voire des milliers d’années ».
Cette constatation n’est pas sans susciter des inquiétudes, compte tenu du rythme actuel de fonte de la calotte glaciaire du Groenland.
« Et c’est sans compter l’Antarctique et les autres zones glaciaires », ajoute Mme Rittenour. « La déglaciation a des répercussions sur l’ensemble du globe et fait particulièrement réfléchir nos mégapoles côtières, où réside une grande partie de la population mondiale.
L’analyse de l’équipe s’inscrit dans le prolongement de recherches entamées il y a plusieurs années, lorsque les scientifiques sont tombés sur des échantillons collectés dans le cadre d’un projet militaire extraordinaire datant de l’époque de la guerre froide.
En 1960, l’armée américaine a lancé un projet ultrasecret appelé « Iceworm » dans le nord-ouest du Groenland afin de construire un réseau de sites de lancement nucléaire mobiles sous la calotte glaciaire », explique M. Rittenour. « Dans le cadre de ce projet, elle a également invité des scientifiques et des ingénieurs à mener des expériences dans le cadre d’un projet de couverture très médiatisé, connu sous le nom de Camp Century, afin d’étudier la faisabilité du travail et de l’exécution de missions militaires sous la glace et dans des conditions de froid extrême. »
Entravés par de violents blizzards et des conditions de glace instables, le bunker et les tunnels souterrains caverneux du projet Iceworm ont été abandonnés en 1966. Mais des échantillons de sédiments prélevés au fond d’une carotte de glace de plus de 4 000 pieds de long extraite du site ont fourni des informations surprenantes sur le passé géologique du Groenland, qui n’est pas si lointain.
Les échantillons de sol congelés prélevés à la base de la carotte de glace de Camp Century ont été oubliés dans un congélateur pendant des décennies, jusqu’à ce qu’ils soient récemment redécouverts.
« Nous disposons de très peu d’échantillons prélevés sous la calotte glaciaire du Groenland, car la plupart des missions de forage s’arrêtent lorsqu’elles atteignent la base glaciaire », explique M. Rittenour. « Ces sédiments du Camp Century redécouverts représentent une capsule temporelle unique et intacte des conditions passées.
Pendant que le sol gelé est resté dans un congélateur pendant plus de 60 ans, la technologie scientifique a progressé. M. Rittenour, directeur du laboratoire de luminescence de l’USU, a été invité à participer à la datation des sédiments.
« Les échantillons étant restés congelés et pratiquement intacts, j’ai pu utiliser la datation par luminescence pour déterminer la dernière fois qu’ils ont été exposés à la lumière du soleil », explique-t-elle. « Si des chercheurs avaient examiné les sédiments dans le passé, nous n’aurions pu effectuer aucune des analyses que nous avons réalisées pour cet article.
Selon Mme Rittenour, les technologies d’investigation d’aujourd’hui permettent aux chercheurs d’obtenir des informations fiables sur ce qui s’est passé au Groenland et dans d’autres parties du monde.
« Ces vestiges de la guerre froide, autrefois perdus, d’une base militaire nucléaire ultrasecrète creusée dans la glace, continuent de livrer leurs secrets et nous avertissent de la sensibilité du climat de la Terre », explique-t-elle. « Si nous pouvons perdre la partie nord-ouest de la calotte glaciaire du Groenland dans des conditions naturelles, nous nous aventurons dans des eaux dangereuses compte tenu de l’augmentation actuelle des gaz à effet de serre.
Adaptation Terra Projects
Source : https://phys.org/
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