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L’étrange pause du réchauffement des océans

La dilatation thermique des mers s’est enrayée, mais la hausse du niveau des eaux continue. Les chercheurs veulent comprendre les mécanismes sous-jacents.

Stupeur chez les océanographes. Après cinq ans de recul, ils réalisent que la dilatation thermique des océans s’est stabilisée depuis 2003. « On ne comprend pas le phénomène », reconnaît Anny Cazenave, spécialiste au CNES de l’élévation des mers et représentante française au GIEC (*). Les mesures de température des bouées Argo présentent une stagnation de l’énergie thermique des mers depuis 2003. Ces données viennent contredire une pente enregistrée depuis cinquante ans. Le rythme moyen de l’expansion thermique était de 0,5 mm par an jusque dans les années 1993-2003. A partir des années 1990, ce réchauffement a doublé pour atteindre 1 mm par an.

Aujourd’hui, la droite s’est donc aplatie. Ce constat ne figure pas dans le dernier rapport du GIEC, publié l’an dernier, car il est intervenu trop tard par rapport aux longs délais de bouclage de l’expertise internationale. Ces mesures signifient que les premières dizaines de mètres de profondeur des mers ne se réchauffent plus. Or l’absorption de chaleur par les océans est une clef du réchauffement climatique. Le spécialiste américain Sydney Levitus de la NOAA a bien montré que c’est là que s’est fait plus de 90 % de l’augmentation de la teneur en chaleur observée ces quarante dernières années. Les océanographes n’en concluent pas bien sûr que le réchauffement climatique est terminé. D’abord parce que pendant la même période, les mesures du niveau de la mer ne sont pas rassurantes du tout : les océans ont continué de monter. L’élévation des mers ne semble pas marquer une rupture avec le rythme global de 1,5 mm par an constaté depuis trente-quarante ans. Les chercheurs croisent pour cela les données des satellites altimétriques avec celles des marégraphes.

Pour les océanographes, l’explication la plus probable est un emballement de la fonte des glaces. « Le niveau des mers dépendait jusque dans les années 2000 de la dilatation thermique des océans pour moitié (0,5 mm par an) et de l’apport de la fonte des glaciers (0,5 à 1 mm par an). Si la dilation s’est arrêtée et si la hausse des mers continue, on peut supposer que la fonte des glaces s’est accélérée », avance Anny Cazenave. De nombreuses publications de glaciologues valident cette thèse. Les glaciers continentaux ont accéléré une débâcle pourtant déjà engagée de longue date. Quant au Groenland, plusieurs travaux montrent une perte de glace en direction de la mer. En revanche, la fonte globale de l’Antarctique n’est pas encore mesurée.

Télémétrie spatiale
Reste à savoir si la stagnation de la dilatation thermique des mers s’explique ou si elle contredit les modèles des océanographes. Pour Laurent Labeyrie du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (CNRS), cet épisode n’est que l’expression de la variabilité interannuelle du climat. « Il y a des périodes durant lesquelles la mer se réchauffe, se refroidit, ou monte plus fortement », explique-t-il. La température des eaux dépend des conditions hivernales et estivales. En hiver, les océans se refroidissent plus ou moins vite en fonction de la température de l’atmosphère mais aussi de l’agitation de l’eau. Les fortes tempêtes favorisent le transfert de chaleur des couches superficielles d’eau vers le ciel. En été, c’est l’intensité du soleil qui pilote l’accumulation de chaleur des océans. Ce dernier effet étant assez stable dans le temps, la variabilité vient surtout de l’hiver et affecte différemment chaque bassin océanique. Laurent Labeyrie conclut donc qu’au total, l’océan connaît une lente oscillation décennale de sa dilatation thermique, mais toujours autour de la pente croissante de 0,5 mm par an. « L’écart de température de l’océan a augmenté dans les années 1970, descendu dans les années 1980, puis il est remonté dans la période 1993-2003. Il est à la baisse depuis lors », rappelle Laurent Labeyrie. Pour Anny Cazenave ou d’autres océanographes comme Rosemary Morrow de l’observatoire Midi-Pyrénées, il est encore difficile d’expliquer ce plateau par les seules oscillations. « Nous n’avons des données fiables que depuis les années 1990, grâce à la télémétrie spatiale, c’est difficile de décrire ce qui s’est passé précisément auparavant », indique la chercheuse du CNES. Pour elle, l’une des explications possibles au tournant de 2003 pourrait être la fin du déploiement mondial des 1.500 bouées Argo, qui a bouleversé l’intégration des mesures. Une publication de Josh Willis du Jet Propulsion Laboratory américain, l’année dernière, argumentait cette possibilité. La coïncidence pose question, même si les données ont quand même été traitées en conséquence. Le phénomène, pour elle, est d’autant plus confus que, depuis 2005, l’élévation du niveau de la mer semble lui aussi marquer une pause.

Prudence des chercheurs
Tous les chercheurs estiment qu’il faut attendre le prochain rapport du GIEC pour obtenir un verdict. D’ici là, les mesures auront été finement homogénéisées, et un autre cycle d’oscillation théoriquement entamé. « Les chercheurs hésitent actuellement à publier sur le sujet, car les données n’ont pas encore été assez retravaillées », explique Anny Cazenave. Selon Laurent Labeyrie, les recherches doivent maintenant étudier en priorité pour le prochain rapport GIEC les mécanismes précis qui expliquent la variabilité interannuelle. La question du soleil mérite par exemple d’être approfondie. L’ensoleillement connaît des variations d’intensité sur des périodes avoisinant les cinq ans ou à plus long terme. Les sceptiques du réchauffement estiment que cette variabilité est trop sous-estimée par les climatologues et qu’elle nuancerait la responsabilité anthropique.

Laurent Labeyrie pense surtout que les réponses se trouvent dans le climat passé. C’est ainsi que sera mieux compris le rôle des grandes masses d’eau profondes dans les oscillations, sachant que leur cycle d’évolution est beaucoup plus long que le rythme saisonnier de l’air ou des eaux superficielles : il se mesure en centaines d’années. « L’eau des grands fonds met 1.000 ans à circuler, celle qui est au fond de l’océan Atlantique s’est par exemple formée il y a deux cents ans. » Les Européens ont lancé un programme de recherche communautaire sur le comportement du Gulf Stream durant le dernier millénaire.

source : http://www.lesechos.fr/

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