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Évolution des espèces

En quelques années, les variations climatiques provoquent une évolution génétique chez les écureuils du Yukon.

Darwin, dans L’origine des espèces publié en 1859, nous a habitués à considérer l’évolution en termes de millénaires, voire de millions d’années. Puis, en 1972, S.J. Gould et N. Eldredge, en se basant sur les registres fossiles, ont proposé leur théorie des « équilibres ponctués ». Selon elle, l’évolution se déroulerait par bonds relativement rapides, entrecoupés de périodes de stabilité. Mais, même sous cette optique, l’apparition de nouvelles espèces nécessite du temps, et les biologistes ont enterré tout espoir d’en être témoin au cours d’une vie humaine. L’évolution est lente, a-t-on dit, acceptons-le.

Or voilà que des écureuils du sud du Yukon décident d’enfreindre la règle et se permettent le luxe de changer leur patrimoine génétique – donc d’évoluer – en seulement 10 ans. Et, qui plus est, directement sous la loupe des chercheurs canadiens qui les étudient. Le changement découvert : une saison de reproduction devancée de 18 jours; la pression de sélection en cause : le réchauffement planétaire.

Pas de quoi renommer l’espèce, bien entendu. Mais malgré ses airs de fait divers, ce changement est éloquent. « C’est la première fois qu’on met en évidence une modification dans les gènes associée au changement climatique », explique Dominique Berteaux, …. « Et cette évolution génétique est beaucoup plus rapide que ce qu’on aurait imaginé », dit-il.

Depuis 25 ans, la température moyenne du Yukon s’est élevée de deux degrés Celsius. « Le Canada est à l’avant-scène pour la recherche sur les effets du réchauffement, dit Dominique Berteaux. Pas parce que nous sommes plus brillants que les autres : les changements climatiques sont simplement plus visibles ici. » Le printemps, par exemple, est de plus en plus précoce et les ressources alimentaires pour les animaux sont par conséquent disponibles de plus en plus tôt. Pour une espèce comme l’écureuil roux, il devient avantageux de s’accoupler plus tôt : les rejetons ont du temps pour s’alimenter, ils sont plus gros l’automne venu et leurs chances de passer l’hiver sont améliorées.

Ce phénomène de reproduction hâtive chez des animaux a été observé à de nombreuses reprises par des scientifiques de partout. Alors, qu’est-ce que les écureuils ont d’intéressant ? « Que des animaux se reproduisent plus tôt n’est pas nouveau, admet Dominique Berteaux. La nouveauté, c’est que cette « reprogrammation » est implantée dans leurs gènes. » On parle ici d’évolution contemporaine, c’est-à-dire observable actuellement.

Comment peut-on conclure que ce changement de comportement est bien le résultat d’une modification génétique plutôt qu’une simple « flexibilité » des écureuils roux dans leur stratégie de reproduction ? « On peut séparer la génétique moderne en deux grands champs, explique le chercheur. …

…. Le changement dans les gènes est donc petit, mais indéniable.

Il s’agit pour l’instant de la seule étude du genre, mais les étudiants de Dominique Berteaux se penchent sur d’autres espèces dans d’autres milieux nordiques. Que ce soit les renards arctiques de l’île Bylot, les grands cormorans du Groenland, les rorquals de Mingan ou les porcs-épics du parc du Bic, tous sont sous surveillance. Ils ont à faire face au même réchauffement climatique que les écureuils du Yukon.

« Ça porte à réfléchir, de conclure Dominique Berteaux. On conduit sa voiture, on consomme de l’essence, on détraque le climat, et, entre autres, des écureuils se reproduisent plus tôt à l’autre bout du pays. Il faut prendre conscience des conséquences parfois lointaines de nos actes sur l’environnement. »

par Joël Leblanc

Extrait de http://www.lemonde.fr/

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