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Les hivers sans neige et phénomène récurrent

Les hivers sans neige et l’économie des sports d’hiver. Un phénomène récurrent, une problématique toujours renouvelée.

Du point de vue de la géographie du tourisme, la neige s’est affirmée, tout au long du XXe siècle, comme la ressource centrale autour de laquelle s’organise l’économie des sports d’hiver. Dès lors, le manque de neige peut devenir un problème pour les stations qui ont misé sur le développement de ces activités. Quatre hivers sans neige font ici l’objet d’une analyse (1931-32, 1963-64, 1988-89 et 2006-07), fondée essentiellement sur une revue de presse, de manière à restituer la façon dont ont été perçues à leur époque ces saisons atypiques.

Les lecteurs qui ouvrirent Le Petit Dauphinois en ce vendredi 1er janvier 1932 eurent un sujet de conversation tout trouvé pour commencer l’année. Ils pouvaient en effet lire en page 2 : «Les hivers sans neige : jusqu’à présent, l’hiver a été à peu près sec et en somme pas très froid dans notre région. Les skieurs font grise mine et les stations d’altitude sont heureuses lorsqu’elles peuvent comme aujourd’hui annoncer – en exagérant un peu – vingt-cinq centimètres de neige friable. Où sont les neiges d’antan ? A pareille époque, ces dernières années, aux environs directs de Chambéry on en signalait couramment des hauteurs de 50 et 60 centimètres et, dans la haute montagne, des mètres (…) Allons, skieurs, ne faites plus grise mine, (…) de gros nuages sombres s’amoncellent déjà sur les hauteurs ; ils vont les saupoudrer d’un bon duvet glacé. Reprenez le sourire et… préparez vos bois», c’est-à-dire vos skis ! L’article est intéressant en ce qu’il mêle des considérations éternelles sur le dérèglement des saisons et le souci «moderne» de la ressource en neige ; après avoir rappelé quelques hivers sans neige des siècles passés, l’auteur conclut qu’ « à ces époques lointaines, on ne pratiquait sans doute pas les sports d’hiver», et que le manque de neige ne posait donc pas le même genre de problèmes. Et après avoir adressé un clin d’œil aux lecteurs qui ne sont pas dupes de la fiabilité des bulletins d’enneigement, il laisse planer l’augure d’une chute de neige prochaine. Ces quelques lignes donnent ainsi le ton de la façon dont seront vécus les hivers sans neige tout au long du siècle : lamentations, sagesse populaire et espoirs savamment entretenus s’y entrelacent étroitement, ne serait-ce que pour faire patienter le chaland…

Avec le recul, l’hiver 1931-32 est difficile à caractériser, pour plusieurs raisons, et tout d’abord parce que les sources divergent : Jean Miège d’un côté multiplia les adjectifs catastrophistes pour désigner cet hiver « calamiteux», «misérable», «malheureux», « déficitaire», quand il n’alla pas jusqu’à parler d’« année terrible» (Miège, 1934). D’un autre côté, la presse semblait minimiser la situation, en insistant plutôt sur ce qui fonctionnait et en multipliant les bulletins triomphaux qui annoncent jour après jour de nouvelles chutes de neige.

Avec l’hiver 1963-64, nous touchons réellement à une saison sèche et sans neige, ou presque : si l’on prend comme base les cumuls au 31 décembre 1963, ils s’élevaient à 6 cm seulement à Vaujany (contre 114 cm
au 31/12/1962 et 118 cm au 31/12/1964) ou 15 cm à Autrans (contre respectivement 179 et 154) (d’après J. Marchini, 1982, «Contribution à l’étude de la neige dans le département de l’Isère», cité in Gumuchian, 1983). Le tableau 1 confirme ce déficit. Le déficit est surtout marqué en Haute-Savoie, et s’estompe progressivement en direction des Alpes du
Sud. A plusieurs reprises durant le mois de janvier, le journal relaie les promesses d’amélioration de l’Office National de Météorologie, mais la une du 27 janvier doit reconnaître qu’il n’est rien tombé. Il faudra
attendre la première quinzaine de mars pour que les choses s’arrangent en Dauphiné et en Tarentaise, mais on continuera à guetter en vain la neige en Haute-Savoie, et surtout dans les stations du pays
du mont-Blanc. En général, ces problèmes d’enneigement ne sont pas évoqués frontalement, mais plutôt à l’occasion d’événements particuliers, par exemple : «Le manque de neige dans nos stations des Alpes a souvent obligé nos skieurs à se transformer en promeneurs », d’où un secours à 2500 m dans les Aravis (Tête Pelouse) pour récupérer un randonneur égaré (Le Dauphiné Libéré, 8/1/1964).

La fin des années 1980 marqua un grand tournant dans l’économie des sports d’hiver, et trois hivers peu neigeux consécutifs y furent pour beaucoup. Déjà, l’hiver 1987-88 avait mal commencé : après « une furtive apparition en octobre » (Charles et Vayr, 1991), la neige avait disparu durablement, elle avait fait l’impasse sur les vacances de Noël et n’était retombée
qu’après le 20 janvier, et les vacances de février furent sauvées. Les professionnels des sports d’hiver n’étaient pas au bout de leurs peines : l’hiver 1988-89 fut encore plus sec, l’anticyclone resta bloqué plusieurs semaines de suite, et la neige se fit encore longtemps attendre. Comme en 1964, des premières hivernales sont réalisées dans le massif des Ecrins, mais ça n’est qu’une mince consolation : vers le 20 janvier, toutes les remontées mécaniques sont arrêtées dans les Hautes-Alpes, dans les Préalpes et en Maurienne. Et début février, on voit arriver les vacances avec effroi !… Alors, ce n’est plus seulement la presse régionale qui se saisit de cette situation ; Le Monde par exemple consacre plusieurs articles à ce déficit de neige et à ses conséquences, et l’on voit par là la place prise par l’économie des sports d’hiver au cours de ce quart de siècle qui sépare 1964 de 1989 ! Dans le cadre du «Plan neige », les stations de Tarentaise (et d’ailleurs) sont sorties de terre, les lits touristiques ont été commercialisés par centaines de milliers, les catégories les plus aisées sont devenues « propriétaires à la montagne » comme le clamaient les publicités, et les péripéties du manteau neigeux ne sont plus seulement une affaire delphino-savoyarde ! Pour mémoire, l’hiver 1989-90 semblait commencer aussi mal que les deux précédents, et Le Monde du 26 décembre 1989 pronostiquait déjà une « troisième saison blanche…et sèche consécutive », bien que l’adjectif blanc fût ici à contre-emploi. Mais la neige finit par arriver. A des degrés divers, ce furent donc bien trois hivers sans neige consécutifs qui marquèrent cette période, même si 1988-89 fut le plus problématique des trois, et la répétition de ces hivers « anormalement » secs marqua durablement les esprits.

Après deux hivers plutôt bien enneigés (Goetz, 2007), l’automne 2006 est remarquable avec, de septembre à décembre, quatre mois « très doux, bien ensoleillés et peu pluvieux en Savoie » (Yvrande, déc. 2006) de telle sorte que Noël arrive sans que l’on ait vu le moindre flocon en dessous de 2000 mètres (figure 4). Or cet état de fait va se prolonger : à la fin de février «l’enneigement devient normal à partir de 2000 m, mais reste déficitaire en dessous, surtout dans les Alpes du Nord du fait des limites pluie-neige souvent élevées» (Goetz, 2007), et il en va de même dans les Pyrénées où la sécheresse est plus accentuée. Compte tenu de ce que nous avons vu auparavant, la situation n’est donc pas inédite, et l’on y retrouve les questions habituelles : «Que faire à la montagne lorsque l’on ne skie pas ?»

La situation se présente toutefois sous un jour nouveau, d’abord parce que cet hiver sans neige n’est plus perçu comme une anomalie climatique somme toute classique, mais comme le signe d’un dérèglement tangible du climat. Cette idée était déjà apparue après les hivers sans neige de la fin des années 1980 : «La Terre se réchauffe, c’est bien connu. On [est] victime de ce fameux effet de serre dont on parle tant » (Le Nouvel Observateur du 20 décembre 1990). Mais même les journalistes ne peuvent plus s’en sortir en lançant un «il n’y a plus de saisons» comme c’était encore le cas dans Le Dauphiné Libéré du 1er février 1989 ! Dès lors, chaque hiver sans neige est perçu comme le signe avant-coureur de nombreux autres qui reviendront de plus en plus souvent, et l’hiver 2006-07 joue sur ce plan le même rôle que la canicule de l’été 2003. Le Messager du Chablais du 15 février 2007 recueille donc l’avis de 7 maires de stations et d’un technicien de Météo France. Le titre en une de cette édition est symptomatique de l’esprit qui règne : «Moyenne montagne. Réchauffement : les stations en sursis : la température de la planète devrait gagner 2 à 6 degrés d’ici 2100. Comment les pistes du Chablais feront-elles face à ce bouleversement climatique ?», avec une double collision entre le local et le global, et entre l’immédiat et le long terme. Dans ces conditions, les maires du Chablais ne se sentent pas tous obligés de partager les craintes sur l’évolution du climat, l’un d’entre eux qualifiant même le réchauffement climatique de « faux problème ».

Vous l’aurez donc compris, des hivers sans neige sont récurrents et il est bon de se dire que c’est la nature qui tire parti du jeu dans une normalité cyclique. Ceci dit pour cet hiver 2015-2016, rien n’est joué en ces heures d’un mois de décembre très doux. Et pour rappel, les gens paradaient en short en décembre 1955, et février 1956 marqua l’hiver le plus froid et le plus enneigé du XXeme siècle. La météo n’est pas une affaire de climat.

Adaptation de La Terre du Futur

extrait et source : https://tel.archives-ouvertes.fr/

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