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La peste n’a jamais disparu de notre monde – elle pourrait réapparaître sous une forme résistante aux médicaments

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La peste peut sembler être une maladie ancienne, mais la bactérie qui en est responsable persiste chez les rongeurs et les puces du monde entier. Les chercheurs préviennent qu’elle pourrait refaire surface sous une forme que nos antibiotiques ne peuvent pas traiter et pourrait provoquer une nouvelle pandémie.

L’assaut de cette maladie, lorsqu’elle a eu lieu, a été rapide et sans pitié. Elle a commencé en Crimée en 1347 avant de s’étendre à toute l’Europe, tuant des millions de personnes terrifiées et sans défense. La maladie à l’origine de toutes ces morts s’est calmée en 1351, mais elle est revenue en force quelques années plus tard. Au moment où la deuxième vague est passée, plus de 50 millions de personnes étaient mortes.

« C’est l’événement le plus important, le plus marquant, le pire qui soit jamais arrivé en Europe », déclare Alessia Masi, de l’Institut Max Planck pour la science de l’histoire humaine, à Iéna, en Allemagne. Elle parle de la peste noire, une épidémie de peste qui a sévi pendant cinq ans et qui, selon certaines estimations, a tué la moitié de la population de l’Europe médiévale.

Médecin de peste durant une épidémie à Rome au XVIIe siècle (gravure de Paul Fürst, 1656) : tunique recouvrant tout le corps, gants, bésicles de protection portées sur un masque en forme de bec, chapeau et baguette. Le surnom « Doctor Schnabel » signifie « Docteur bec ».

Cet épisode redoutable est gravé dans notre mémoire collective du Moyen-Âge, ce qui explique peut-être pourquoi la peste semble être de l’histoire ancienne. Mais la bactérie qui en est à l’origine est toujours parmi nous, et les épidémiologistes nous avertissent aujourd’hui que ce pathogène des plus mortels pourrait se réveiller sous une forme encore plus effrayante. Loin d’être un spectre d’un lointain passé, la peste pourrait bien devenir une maladie d’aujourd’hui, à moins que nous ne commencions à prendre sa menace plus au sérieux.

Pour les historiens de la peste, la peste noire n’a été qu’un premier chapitre – bien que particulièrement sanglant – d’une série de pandémies qui ont ravagé l’Eurasie occidentale et l’Afrique du Nord pendant près de cinq siècles. 

la peste de 1720 à marseille

Mais plus proche de nous en 2019, au moins quatre personnes ont contracté la peste pulmonaire en Chine. Cette même maladie fut surnommée « mort noire » après avoir décimé l’Europe au milieu du XIVe siècle, faisant des dizaines de millions de morts. Ces cas chinois doivent-ils pour autant nous amener à des mesures sanitaires drastiques ?

En réalité, la peste n’a jamais disparu, et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) la considère comme une maladie ré-émergente. Entre 1990 et 2015, plus de 50 000 cas humains ont été déclarés en Afrique, Asie et Amériques, avec des foyers actifs à Madagascar et en République démocratique du Congo principalement. Même aux États-Unis, des cas sont régulièrement signalés. L’Europe est quant à elle épargnée, aucun cas n’ayant été signalé récemment. Les derniers cas Français remontent à 1945, en Corse.

Le diagnostic de la peste repose sur la détection du bacille Yersinia pestis dans des échantillons biologiques. Son traitement par des antibiotiques est parfaitement efficace s’il est adapté (certaines souches sont résistantes), et administré précocement. Il n’y a donc a priori pas lieu de s’inquiéter de la réapparition de cette maladie dans certaines régions du monde, à condition que des mesures de traitement et de prévention de la contagion soient mises en place par les pays concernés. Et que les voyageurs respectent les recommandations sanitaires dans les zones endémiques (éviter le contact avec des rongeurs, se protéger des piqûres de puce, consulter un médecin en cas de contact avec un malade pesteux qui tousse).

La peste est une maladie infectieuse des rongeurs sauvages. Elle est transmise par l’intermédiaire de piqûres de puce. Elle est due à une bactérie très virulente : Yersinia pestis, du nom de son découvreur Alexandre Yersin en 1894. Chez l’être humain, il existe deux formes cliniques de la maladie.

La peste bubonique, contractée par piqûre de puce infectée, se traduit par un syndrome infectieux très sévère (fièvre, douleurs musculaires, fatigue, etc.) et par un bubon (inflammation du ganglion lymphatique proche de la piqûre). Sans traitement antibiotique, la peste bubonique est mortelle dans 50 à 70 % des cas par dissémination dans l’organisme et septicémie.
Lors de la dissémination dans l’organisme, la bactérie peut atteindre le poumon et provoquer une peste pulmonaire secondaire. À ce stade, la bactérie peut être transmise directement à une autre personne par la salive (toux) et provoquer une peste pulmonaire primaire. Lorsque les poumons sont atteints, l’infection est systématiquement mortelle si un traitement antibiotique n’est pas rapidement administré.

credit sciencesetavenir.fr

Apparition de résistances aux antibiotiques

Le bacille pesteux est habituellement sensible aux antibiotiques classiquement utilisés pour le traitement de la peste. Cependant, on sait depuis peu que le risque d’apparition de chimiorésistances étendues chez Y. pestis existe. En 1995, deux souches portant des plasmides de résistance à des antibiotiques de première ligne pour le traitement de la peste ont été isolées chez des patients atteints de peste bubonique. Un de ces plasmides conférait un taux de résistance important à la streptomycine – antibiotique de choix pour le traitement de la peste dans de nombreux pays -, et l’autre une résistance à huit antibiotiques, dont les quatre recommandés par l’OMS comme traitements curatif et prophylactique). Dans les deux cas, le plasmide était capable de se transférer avec une fréquence élevée d’une souche de Y. pestis à une autre. La démonstration ultérieure que l’acquisition par Y. pestis de cette résistance aux antibiotiques avait lieu dans le tube digestif de la puce et que le plasmide de multirésistance était présent chez des entérobactéries largement répandues dans les produits alimentaires fait redouter l’émergence et l’expansion de souches de Y. pestis multirésistantes, ce qui constituerait une menace majeure en santé publique.

Cette maladie pose encore au monde actuel d’importants défis.

Certains sont liés aux caractéristiques mêmes de la maladie : gravité, contagiosité (pour la forme pulmonaire), rapidité de dissémination, qui imposent une bonne réactivité sur le terrain devant un début d’épidémie. À ces caractéristiques s’ajoute l’effet de panique qui peut, entre autres effets pervers, favoriser la dissémination. La disponibilité de nos jours de moyens de transport rapides permet à un malade en phase d’incubation d’importer la maladie dans des régions très distantes de la source d’infection.

Un autre défi est constitué par la réapparition récente de la peste dans des foyers restés silencieux pendant plusieurs décennies, indiquant que l’éradication d’un foyer de peste établi ne peut jamais être tenue pour acquise. L’extension des foyers existants s’explique au moins en partie par des changements anthropogéniques du paysage (fragmentation des forêts) et les déplacements humains qui favorisent considérablement les contacts entre le réservoir des animaux sauvages et les rongeurs péridomestiques, ainsi qu’entre les populations des zones endémiques et celles des zones non encore affectées. De plus, les modifications climatiques observées actuellement (printemps plus chauds, étés plus humides) offrent des conditions favorables à l’apparition d’épizooties de peste [11] et donc au risque de transmission à l’homme.

Enfin, l’analyse des foyers de peste actuels indique que cette maladie est ubiquitaire géographiquement (foyers dispersés dans le monde) et dans le règne animal (nombreuses espèces hôtes et puces vectrices), ce qui atteste d’une capacité remarquable de la bactérie à s’adapter à des conditions écologiques variées et rend utopique une éradication totale de la maladie. À cela s’ajoute une menace potentielle majeure liée à la capacité maintenant démontrée du bacille à acquérir et transmettre des plasmides de résistance aux antibiotiques dans des conditions naturelles.

Loin d’être uniquement une maladie du passé ou un problème limité à des zones géographiques restreintes, la peste représente donc encore de nos jours un danger potentiel à l’échelle de la planète. Le maintien, ou même le renforcement, d’une surveillance de terrain active et les recherches visant à améliorer nos connaissances sur les conditions de circulation du bacille et à identifier de nouvelles cibles thérapeutiques restent plus que jamais nécessaires.

Adaptation Terra Projects

sources : https://www.newscientist.com/ / https://www.frm.org/ / https://www.medecinesciences.org/

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