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Chambre avec vue sur Terre

L’Américain Robert Bigelow est prêt à ouvrir une station privée dans l’espace. Mais il devra patienter jusqu’en 2017, date à laquelle SpaceX et Boeing pensent enfin pouvoir jouer les taxis.

Le monstre semble tout droit sorti d’un film de science-fiction : entreposé dans un hangar au nord de Las Vegas, il donne l’impression d’un mammouth gonflable, aussi haut qu’un immeuble de trois étages. Dans quelques années, cet hôtel – car c’est un hôtel – sera installé dans l’espace pour accueillir des astronautes, des scientifiques et – pourquoi pas ? – des touristes. L’engin est déjà prêt à entamer son séjour en orbite. « Le problème, c’est qu’il n’y a pas de fusée pour s’y rendre », explique Robert Bigelow, un magnat de l’hôtellerie qui travaille depuis quinze ans à cet incroyable projet. « En 2005, on pensait que des taxis sillonneraient l’espace en 2010. Nous nous sommes trompés. On nous parle maintenant de 2017. Nous espérons donc lancer nos premières stations privées dans les trois ans qui viennent. »

C’est le grand drame de Robert Bigelow : il a pris trop d’avance par rapport aux transporteurs privés que sont SpaceX, Boeing et Orbital. En 2004, il a promis 50 millions de dollars à qui ferait la navette entre la Terre et l’espace dans un délai de cinq ans. Mais l’échéance est arrivée sans que personne ne relève le défi. Ces entreprises affrètent déjà du matériel, mais elles ne sont pas encore capables de transporter des personnes. En attendant, Robert Bigelow perfectionne sa technologie. Le 2 septembre prochain, il utilisera la navette cargo de SpaceX pour envoyer une station privée – BEAM – en orbite et la rattacher à la Station spatiale internationale (ISS). Les astronautes vont tester comment l’engin évolue dans l’espace (résistance aux radiations, déformation de la coque extérieure, etc.). Sans attendre les résultats, Bigelow Aerospace veut commencer à louer les lieux. Il s’apprête à nouer un premier partenariat avec le gouvernement japonais, qui y conduira des expériences scientifiques. « D’autres pays nous ont sollicités : les Emirats arabes unis, le Canada et l’Allemagne notamment. Bigelow leur donne l’occasion d’augmenter le nombre d’astronautes qu’ils envoient dans l’espace, en payant beaucoup moins qu’avant », fait valoir Mike Gold, le numéro deux de l’entreprise. Plus qu’un hôtel, il s’agira donc avant tout d’un laboratoire scientifique.

La Nasa surveille cela de près. Et pour cause : c’est elle qui a eu l’idée de ce module que l’on compresse tel un tee-shirt dans une valise et que l’on gonfle dans l’espace ensuite. Elle a dû y renoncer par manque de moyens, et en a vendu l’idée à Robert Bigelow. Mais elle sait tous les avantages que cela représente : ces stations peuvent prendre des formes beaucoup plus larges que les précédentes, n’étant plus contraintes par la taille des fusées qui les transportent. Et de la place, il en faut : la Nasa ne compte plus les entreprises qui veulent mener des expériences dans l’espace, et sont prêtes à payer des fortunes pour y envoyer une ou deux personnes. « Il y a déjà beaucoup d’études privées qui sont menées dans la Station spatiale internationale. Mais la demande est très supérieure à l’offre. C’est en cela que notre projet a du sens », explique George Zamka, un ancien astronaute de la Nasa qui s’est mis au service de Robert Bigelow.

Entreprises en apesanteur

Procter & Gamble est l’une des rares entreprises qui travaillent déjà en apesanteur, en partenariat avec les astronautes de l’ISS. Elle étudie les colloïdes, de minuscules particules qui pourraient améliorer la qualité de ses adoucissants. De son côté, le groupe pharmaceutique Merck travaille sur la cristallisation d’anticorps afin de développer des médicaments qui attaquent directement les cellules malades. « Les astronautes dans l’espace présentent un système immunitaire équivalent à celui d’un vieillard. Les bactéries sont beaucoup plus fortes en apesanteur. Cela peut permettre de créer des médicaments très performants », explique George Zamka. L’agrochimie a aussi beaucoup à apprendre de l’espace. « Sans gravité, les plantes ne savent plus où sont le haut et le bas. Cela devrait permettre de développer des cultures plus résistantes », poursuit l’ancien astronaute.

En soutenant ces entrepreneurs, la Nasa réduit aussi sa dépendance aux Russes, qui sont les seuls à transporter des astronautes via la fusée Soyouz. La Nasa avait bien une navette, mais elle l’a mise en retraite en 2011.
Les milliardaires américains sont visiblement ravis de prendre le relais. C’est le cas d’Elon Musk, qui a fait de SpaceX l’entreprise la plus prometteuse du secteur – elle sera a priori la première société privée à transporter des hommes dans l’espace. C’est le cas aussi du Britannique Richard Branson qui, après avoir développé la compagnie aérienne Virgin, rêve de faire voyager les touristes à la frontière de l’espace. Le fondateur d’Amazon, Jeff Bezos, a également rejoint l’aventure. Il compte établir une navette entre la Terre et l’ISS en partenariat avec Boeing. Ces milliardaires comptent-ils gagner de l’argent un jour ? Quand on l’interroge, Robert Bigelow préfère botter en touche : « Vous avez parlé à ma femme récemment ? Elle n’arrête pas de me poser la question depuis quinze ans ! » L’homme, qui a fait fortune en développant l’une des chaînes de motels les plus importantes du pays, a investi 250 millions dans sa nouvelle passion.

Si les projets divergent, ces milliardaires partagent tous la même ambition : offrir des prestations low cost par rapport à ce que les agences gouvernementales proposaient jusqu’alors. Aujourd’hui, le seul moyen de rejoindre la Station spatiale internationale est d’embarquer dans la fusée russe Soyouz. Il en coûte environ 50 millions de dollars par personne. SpaceX devrait facturer les premiers tickets 20 millions de dollars et réduire la facture à quelques millions lorsqu’il saura construire des fusées réutilisables. La station privée que développe Bigelow Aerospace sera aussi moins chère que ne l’est l’ISS : elle se monnaiera 26 millions de dollars par personne pour un séjour de deux mois, vol inclus.

Il n’est pas impossible que l’espace se démocratise dans les trente ans qui viennent. Mais cela nécessitera de révolutionner la technologie des fusées. Celles d’aujourd’hui sont propulsées par un combustible et ne sont pas réutilisables, car le lanceur est brûlé dans l’atmosphère. Cela rend le coût de lancement extrêmement élevé (50 millions de dollars minimum). Des entrepreneurs tentent de développer les fusées du futur, des engins plus compacts qui seront propulsées par un champ électromagnétique et pourront donc être réutilisés. C’est le cas de Laetitia Garriott de Cayeux, la femme française de Richard, qui développe ce nouveau concept au sein de la start-up Escape Dynamics. « Quand notre fusée sera prête, les prix des vols spatiaux s’effondreront. Le coût de lancement sera de l’ordre de 30.000 dollars. Les vols dans l’espace se feront au prix d’un billet d’avion en première classe », promet-elle. Une affaire à ne pas rater.

TDF

source et résumé : http://www.lesechos.fr/

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