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Cévennes : un scandale sanitaire longtemps enterré

Dans les Cévennes, les habitants de plusieurs communes situées près d’anciens sites miniers présentent des taux inquiétants de métaux lourds dans l’organisme.

Emilie caresse son ventre rond avec nervosité. Dans quelques semaines, sa fille verra le jour sur des terres contaminées au plomb, zinc, arsenic, cadmium… « Si seulement nous avions su avant d’acheter notre terrain… Mais l’acte de vente ne disait rien. On ne savait même pas qu’il y avait des mines à Tornac », soupire la jeune mère.

Des enfants contaminés
Emilie et Julien se sont installés il y a trois ans dans cette petite commune des Cévennes, plantée au milieu d’un décor de roche et de verdure époustouflant de beauté. Ils cherchaient un lieu de vie paisible pour élever leurs deux enfants de quatre et cinq ans, ainsi que le troisième qui se prépare. La zone fait partie des sites protégés : elle est classée Natura 2000. Un petit coin de paradis, pensaient-ils.

C’est un coup de fil qui les a fait déchanter. Celui de l’ARS (Agence régionale de santé), venue leur révéler, en février, les résultats du dépistage organisé dans cinq communes de la région, lorsque l’affaire a éclaté. Dans l’organisme de leurs enfants : des taux en plomb et arsenic « nettement supérieurs aux moyennes ». « On ne peut pas rester ici, on doit partir », lâchent-ils, les traits rompus par l’inquiétude. La veille, ils ont encore découvert une mine, « juste au-dessus de la maison ».

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Comme ce jeune couple, une trentaine d’habitants de Saint-Félix-de-Pallières, Tornac, Thoiras, Générargues et Saint-Sébastien-d’Aigrefeuille ont décidé de porter plainte contre X pour « mise en danger de la vie d’autrui, blessures involontaires et pollution de l’eau ». Tous présentent des taux anormaux de métaux lourds dans le sang et les urines. Les terrains qu’ils habitent sont potentiellement pollués par les résidus des multiples mines creusées dans la ceinture cévenole depuis un siècle, avec des sources d’exposition plurielles : la terre, l’eau, l’air. « L’an dernier, on a mangé quinze kilos de tomates cultivées dans notre jardin, se rappelle Julien. Est-ce c’est ça qui a pu contaminer les enfants ? On veut savoir, on veut comprendre ».

100 ans d’extraction sauvage
Comprendre quoi ? Que l’industriel, Umicore, ait laissé derrière lui ses trois millions de tonnes de déchets, sans engager la moindre mesure de dépollution après son départ en 1971 ? Que l’Etat n’ait pas diligenté d’enquête avant 2004 afin d’évaluer les risques sanitaires pour les populations vivant à proximité des sites ? Ou encore, que l’administration ait dissimulé les résultats de cette première étude, qui soulevait des risques a minima et déjà si préoccupants ? Les mairies n’ont été mises au courant de ces travaux scientifiques qu’en 2008. Deux ont depuis porté plainte contre l’Etat. La population, elle, a reçu des recommandations pour limiter les risques d’imprégnation en 2014.

A Saint-Félix et dans les communes alentour, les récits amers se multiplient. Celui de Manuel Gomez, dont la maison se situe à quelques centaines de mètres de la mine Joseph, fermée en 1955. Les sédiments ont noirci la terre de son jardin ; il est atteint d’une maladie de la peau. Non loin, il y a Michel Bourgeat, qui a commencé à avoir des soupçons lorsqu’il voyait ses ânesses et ses chiens mourir avant l’âge. Plus tard, c’est sa femme qui est décédée d’un cancer du sein après avoir subi un AVC. Habitante du centre-ville d’Anduze, Marianne Plus se souvient avoir régulièrement emmené ses enfants se baigner dans l’Ourne – elle les a même baptisés dans la rivière. « Mon fils a eu un cancer. On ne peut pas s’empêcher de se poser des questions ».

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Parmi tous les métaux lourds, c’est le plomb qui fait le plus peur. Ce puissant neurotoxique se stocke dans les os et menace en premier lieu les enfants, notamment ceux exposés in utero. Et même si l’exposition cesse, même si les taux redeviennent indétectables dans le sang, il peut se relarguer dans l’organisme à la première fracture. « On en a entendu un paquet, des histoires où des gens développent des problèmes neurologiques après s’être cassé un os », rapporte Maxime Laporte, qui s’amusait, gamin, à grimper sur les amas de sédiments à Saint-Félix.

« Mêmes mensonges » que le dossier amiante
Ce 25 février, ils se sont donné rendez-vous dans la salle communale jouxtant la mairie de Saint-Félix-de-Pallières. Face à eux, Marie-Odile Bertella-Geffroy, ancienne juge d’instruction au pôle Santé Publique du Tribunal de Grande Instance de Paris. C’est son premier dossier en tant qu’avocate. Elle y voit de nombreux parallèles avec celui de l’amiante, qu’elle a instruit. « Même silence de l’administration, mêmes dissimulations des industriels. Avec cette procédure, nous allons remonter le temps, dégager les responsabilités ». Elle explique qu’une indemnisation est possible avant la fin d’un éventuel procès, à l’issue par ailleurs incertaine.

Bien sûr, le lien entre les taux d’imprégnation, les pathologies constatées et l’exposition aux polluants n’est pas avéré – comme souvent dans ce type d’affaire. Les médecins des communes touchées ont eu parfois la puce à l’oreille. « Mais nous sommes très peu formés sur cette question, explique François Simon, médecin retraité de Saint-Félix-de-Pallières. C’est en fin d’exercice que j’ai pu dresser un lien probable entre les insuffisances rénales, les hypertensions, et le passé professionnel de mes patients, notamment les mineurs. »

extrait et source de http://www.pourquoidocteur.fr/

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