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Grégoire de Tours et le climat du VIe siècle

En ces temps reculés, les légendes s'appuient sur des faits et des contes de civilisations disparues. Ces civilisations ont souvent été victimes du climat. Quelles sont ces légendes ? Quelles sont ces civilisations ? Quelle sera la Survie dans notre Futur ?

Modérateur :cartesien66

Aliane
Grégoire de Tours et le climat du VIe siècle

Message par Aliane » 04 mai 2010, 08:49

Avant l'optimum médiéval, certaines chroniques nous offrent l'image d'un climat en modification rapide et, en particulier, l'Historia Francorum (Histoire des Francs) de Grégoire de Tours.

Il se nomme Georgius Florentius Gregorius et appartient à une importante famille gallo-romaine de la noblesse sénatoriale arverne. Il naît à Clermont ou à Riom, on ne sait pas trop, la famille avait des propriétés à la campagne comme en ville, vers 539. Son oncle paternel fut évêque de Clermont et, par sa mère, il est parent de plusieurs évêques de Lyon. Après des années d'études organisées par le clan familial, il devient en 573 évêque de Tours, donc chargé directement de la basilique Saint-Martin devenue le sanctuaire des rois francs. Il meurt à Tours probablement le 17 novembre 594 (plus ou moins un an). Nous connaissons de lui une dizaine d'écrits dont sa chronique de l'histoire des Francs.

Quand il naît en 539, la période des migrations des peuples germaniques est en grande partie achevée, les royaumes mérovingiens s'organisent et se stabilisent : le baptême de Clovis date de 476, le roi conquérant est mort en 507. Ses descendants, au travers de leurs querelles, vont créer les quatre royaumes qui partagent les anciennes Gaules :
* au nord-est, l'Austrasie qui englobe les actuelles Lorraine, Alsace, pays wallon et Rhénanie.
* au nord-ouest, la Neustrie : tout le nord de la Loire, sauf la Bretagne. En gros, Ile de France, actuelle Normandie et tout le nord.
* à l'est, la Burgondie : Bourgogne, Orléanais, vallée du Rhône, à laquelle sera bientôt rattachée la Provence
* au sud-ouest, la grande Aquitaine qui va de l'Auvergne au pays basque, sauf la Septimanie restée wisigothe.

La vie de Grégoire sera dominée par la faide ou vendetta des reines, l'opposition sanglante entre Brunehilde, épouse de Sigebert Ier d'Austrasie, et Frédégonde, épouse de Chilpéric Ier de Neustrie.

Voici pour le contexte.

Aliane

Re: Grégoire de Tours et le climat

Message par Aliane » 04 mai 2010, 09:20

Comme les chroniqueurs romains, Grégoire prête attention aux "signes et prodiges", anomalies du quotidien et particulièrement de la météo censées éclairer sur le blâme ou plus rarement l'encouragement donnés par Dieu, comme une notation professorale des actes des hommes. Ainsi les comètes voisinent avec l'entrée des loups dans la ville et avec un séisme dans les mêmes phrases ou du moins les mêmes paragraphes.

Les années 580-590 sont riches en événements météorologiques au sens le plus large du terme et semblent avoir été le siège d'un réchauffement climatique accompagné de phénomènes électromagnétiques et de chutes de météorites. Je vais vous donner les textes, les brèves citations de l'Histoire des Francs qui les décrivent. J'essaierai de les commenter et je serais ravie d'avoir vos propres impressions, votre propre lecture de ces textes.
La septième année du roi Childebert [en 582], qui était la vingt et unième de Chilpéric et de Gontran, on eut, dans le mois de janvier, des pluies, des éclairs et de violents tonnerres ; on vit des fleurs sur les arbres. Il apparut dans le ciel une étoile à laquelle j’ai donné plus haut le nom de comète [livre IV]. Le ciel, tout autour, était profondément obscur, en sorte que, placée comme dans un creux, elle reluisait au milieu des ténèbres, scintillait, et étalait sa chevelure : il en partait un rayon d’une grandeur merveilleuse, qui paraissait au loin comme la fumée d’un grand incendie ; on la vit à l’occident, à la première heure de la nuit. On vit aussi dans la ville de Soissons, le saint jour de Pâques, le ciel ardent, comme s’il eût été embrasé de deux incendies : il y en avait un plus grand, et l’autre moindre. Au bout de deux heures, ils se réunirent, et, après avoir formé comme une grande flamme, ils disparurent. Dans le territoire de Paris, il tomba des nuages une pluie de sang véritable : beaucoup de gens la reçurent en leurs vêtements, et elle les souilla de telles taches qu’ils s’en dépouillèrent avec horreur. Le même prodige se manifesta en trois endroits du territoire de cette cité. Dans celui de Senlis, un homme, en se levant le matin, trouva l’intérieur de sa maison arrosé de sang. Il y eut cette année une grande mortalité parmi le peuple : diverses maladies très dangereuses, et accompagnées de pustules et d’ampoules, causèrent la mort d’une grande quantité de gens ; beaucoup cependant y échappèrent à force de soins. Nous apprîmes que cette année la peste s’était cruellement fait sentir dans la ville de Narbonne, en telle sorte qu’il n’y avait aucun répit pour celui qui en était saisi. (Livre 6)
Bien entendu, tout est mélangé pour un regard moderne. Dans la tradition des prodigia antiques, nous avons une progression logique : une alerte (orages et fleurs en janvier), un avertissement (comète et ciel ardent), un début de châtiment (pluie de sang), le châtiment déployé (épidémie). La peste de Narbonne est réellement la peste, dont la première grande épidémie va assombrir la fin du VIe et le début du VIIe siècles.

Je ne sais pas ce que Grégoire appelle "ciel ardent". Il ne s'agit évidemment pas d'un coucher de soleil très rouge, événement banal qui aurait permis aux paysans de prévoir le temps du lendemain. Il en reparle plusieurs fois.

Aliane

Re: Grégoire de Tours et le climat

Message par Aliane » 04 mai 2010, 09:36

Continuons. Nous sommes encore en 582 ou 583.
Il parut encore cette année de nouveaux signes. Il y eut une éclipse de lune. (...) Prés d’Angers la terre trembla, et des loups entrés dans les murs de la ville de Bordeaux y mangèrent des chiens sans marquer aucune crainte des hommes. On vit des feux parcourir le ciel.(Livre 6)
J'ai supprimé de ce passage ce qui relèverait plutôt pour nous des faits-divers. Comme pour le "ciel ardent", que sont ces "feux" ? Je ne peux m'empêcher de penser à des aurores. La photo de l'aurore apparue près de Belfort en 2003 pourrait correspondre aux descriptions de "ciel ardent".
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/c ... 10C08A.JPG

Nous aurions donc en 582-583 une succession de tempêtes magnétiques.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Aurore_polaire

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Re: Grégoire de Tours et le climat

Message par florent76 » 07 mai 2010, 17:35

Merci beaucoup pour tous ces éléments Aliane !!!! Continuez si vous en avez d'autres, c'est extrêmement intéressant !

Je m'intéresse de près et depuis longtemps à l'Histoire du climat et le VIe siècle est un moment passionnant. Parce qu'en effet Grégoire de Tours nous a laissé de précieuses chroniques, mais également parce que des événements cataclysmique semble avoir eu lieu durant cette période !

Je me souviens d'un texte de Grégoire de Tours qui décrit visiblement d'après moi la chute d'un astéroïde sur la lune qui aurait été observé à l'époque et en 580 me semble t-il.

D'autres part, il semble d'après des études récentes que le Krakatoa ait explosé de même qu'il l'a fait des siècles plus tard en 1883. L'éruption aurait eu lieu en 535 environ et aurait perturbé le climat dans les années qui ont suivi avec un refroidissement notable. Certaines recherches vont même jusqu'à faire le lien avec de nouvelles invasions venues d'Asie où les pâtures auraient été gelées, ainsi qu'avec la poussée pesteuse dite de Justinien suite à l'abaissement de la température dans les foyers connus et endémiques du virus au sud de l'Egypte ce qui lui aurait permis de remonter vers le nord avec les flux commerciaux.
[img]http://www.laterredufutur.com/photos/medals/bronze_star-2.gif[/img][img]http://www.laterredufutur.com/photos/medals/flocon-1an.png[/img][img]http://www.laterredufutur.com/photos/medals/2011-1.gif[/img]

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Re: Grégoire de Tours et le climat du VIe siècle

Message par papou » 07 mai 2010, 18:09

merci beaucoup les z'amis , c'est trés trés intéressant , si vous en avez encore allez y :) ;)

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Re: Grégoire de Tours et le climat du VIe siècle

Message par Geomalin » 07 mai 2010, 19:16

Intéressant Aliane.

La description de ces évènements me fait tout de suite penser à une hypothèse : une forte perturbation du champ magnétique terrestre. En effet il est à peu près admis qu'un affaiblissement du champ magnétique entraine notamment un bombardement cosmique d'astroparticules, un regain d'orages (éclairs) dû à l'ionisation des particules, ainsi que l'apparition d'aurores boréales à très basse latitude.

Qu'en pensez-vous ?

@+GĂ©o ;-)
[img]http://www.laterredufutur.com/photos/medals/bronze_star-2.gif[/img][img]http://www.laterredufutur.com/photos/medals/2011-3.gif[/img]

Aliane

Re: Grégoire de Tours et le climat du VIe siècle

Message par Aliane » 07 mai 2010, 22:47

Géomalin, j'ai émis la même hypothèse d'autant que voici le premier de ces "prodiges", qu'on peut dater de 580 ou 581. Je pense que c'est ce passage que Florent76 interprète comme chute d'un astéroïde sur la Lune.
Ensuite, la nuit du troisième jour des ides de novembre, tandis que nous célébrions les Vigiles de saint Martin, il nous apparut un grand prodige : on vit au milieu de la lune briller une étoile flamboyante,et proche de la lune, au-dessus et au-dessous, apparurent d’autres étoiles. On la vit entourée du cercle qui souvent annonce la pluie ; mais nous ignorons ce que signifiaient ces choses. Plusieurs fois durant cette année nous vîmes la lune devenir obscure, et, avant le jour de la naissance du Seigneur, on entendit de grands tonnerres. Il parut aussi autour du soleil des lueurs semblables à celles qui, comme nous l’avons rapporté, avaient été vues avant la mortalité d’Auvergne, et que les paysans appellent des soleils. On dit que la mer s’éleva beaucoup plus que de coutume, et il apparut beaucoup d’autres signes. (Livre 5,23)
Chute d'astéroïde ? Très possible mais il faudrait que ce soit corroboré par l'étude des cratères lunaires pour pouvoir l'affirmer. Si quelqu'un lit le chinois (ce n'est pas mon cas), il faudrait voir si les chroniques astronomiques font état du même événement.

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Re: Grégoire de Tours et le climat du VIe siècle

Message par FredTDF » 08 mai 2010, 00:13

Merci Aliane pour tout ça, c'est en étudiant l'histoire que l'on découvre le présent et le futur ;-)
Winter is Coming.
"Le but de la politique est de garder la population inquiète et donc en demande d'être mise en sécurité, en la menaçant d'une série ininterrompue de monstres, tous étant imaginaires" : Mencken journaliste américain du XXeme siècle.

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Re: Grégoire de Tours et le climat du VIe siècle

Message par Aliane » 09 mai 2010, 20:24

Chute de météorite, voire débris de l'astéroïde possible de 580 ? Nous sommes cette fois en 583 :
La huitième année du roi Childebert, le 31 janvier [583], au moment où dans la ville de Tours, on venait, le jour du Seigneur, de donner le signal des Matines, et lorsque le peuple se levait pour se réunir dans la cathédrale, le ciel étant couvert de nuages, il en tomba avec la pluie un grand globe de feu, qui parcourut dans les airs un long espace, et donna tant de lumière qu’on distinguait toutes choses comme en plein jour. Après quoi il rentra dans le nuage, et l’obscurité succéda à la clarté. Les eaux grossirent au-delà de la coutume, et causèrent autour de Paris une telle inondation de la Seine et de la Marne, que beaucoup de bateaux périrent entre la Cité et la basilique Saint-Laurent. (Livre 6,25)
Il faut savoir qu'à l'époque, les Matines commencent dans la nuit, théoriquement à minuit dans les monastères, plus souvent vers 2 ou 3 heures du matin (actuelles) en été et vers 5 heures en hiver, puisque elles sont suivies par les Laudes qui se célèbrent au lever du soleil. Le 31 janvier, il fait nuit noire au moment de cet office. De plus, il est coutume d'allumer peu de lampes : quelques cierges à l'autel et autour des lutrins des lecteurs et des chantres. Le contraste visuel est donc d'autant plus saisissant.

Aliane

Re: Grégoire de Tours et le climat du VIe siècle

Message par Aliane » 09 mai 2010, 20:34

Vous me direz que je fais du yoyo chronologique mais j'avais oublié je crois ces autres indications de l'an 580 :
Quelques-uns assurèrent qu’on avait vu le ciel ardent ; le fleuve de la Loire grossit plus que l’année précédente ; le torrent du Cher vint s’y réunir ; le vent du midi souffla sur le pays avec tant de violence qu’il renversa les forêts, abattit les maisons, arracha les haies, et fit périr des hommes même enlevés dans un tourbillon qui parcourut en largeur un espace de près de sept arpents. On n’a pu savoir ni estimer jusqu’où s’était prolongé son passage. Les coqs célébrèrent souvent par leurs chants le commencement de la nuit. La lune fut obscurcie, et l’étoile qu’on appelle comète apparut dans le ciel. Il vint ensuite une grande contagion parmi le peuple. (Livre 5)
Toute cette période semble dominée par des phénomènes électromagnétiques violents, des inondations, des tempêtes et un réchauffement climatique.
On peut se demander si ce que Florent76 interprète comme astéroïde ne serait pas plutôt des débris de la comète qui semble avoir été très visible et avoir beaucoup frappé les esprits.

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