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Réchauffement climatique les sentinelles attaquées dans l’Arctique

Le biologiste Warwick Vincent a constaté de visu les manifestations du réchauffement climatique sur les plateaux de glace de l’Arctique canadien.
À la limite nord du Canada, dans le Nunavut, six grands plateaux de glace se dressaient dans le paysage depuis plus de 3 000 ans, comme d’immuables sentinelles.

Le décollement d’Ayles et le fractionnement de Ward Hunt, ces plateaux de glace faisaient office de barrage à l’embouchure de deux imposants fjords dont la profondeur atteignait 400 mètres par endroits. À Ward Hunt, les 43 premiers mètres d’eau de surface du fjord étaient constitués d’eau douce provenant de la fonte de la neige et de la glace des côtes adjacentes, ce qui en faisait le plus grand «lac» de ce genre dans l’hémisphère Nord.

La rupture a provoqué la formation d’îles de glace et permis à un lac d’eau douce de se déverser dans l’océan. Cette eau douce a des effets immédiats sur la faune aquatique mais pourrait également avoir de graves conséquences sur le fonctionnement du « tapis roulant océanique ». On estime que la plate-forme Ward Hunt, qui s’étends sur plus de 440 kilomètres carrés, s’est formée il y a plus de 3000 ans…

Rattachés aux côtes de l’île d’Ellesmere et formés par une patiente congélation d’eau de mer et par accumulation de neige, ces vastes plateaux constituent des éléments uniques dans l’Arctique canadien: plus au sud, le froid n’est pas assez intense pour assurer leur formation, plus au nord, il n’y a plus l’ombre d’une parcelle de terre en vue. Or, en moins de quatre ans, deux de ces sentinelles sont tombées au combat.

C’est pour cette raison que le professeur Warwick Vincent, du Département de biologie, n’hésite pas à utiliser les termes « dramatiques » et « perturbants » pour qualifier les récents événements impliquant ces plateaux. Le dernier en liste, le détachement du plateau d’Ayles, a eu des échos aux quatre coins de la planète au cours des derniers jours. Plus de 80 reportages citant le professeur Vincent sur le sujet ont été diffusés dans les médias d’une vingtaine de pays, notamment Le Monde, le New York Times, le Washington Post, le National Geographic, le Chicago Tribune et Der Spiegel. « Je crois qu’il y a un grand intérêt de la part des médias et de la population pour la question des changements climatiques. Les politiciens en mesurent encore mal la portée », estime-t-il.

Au cours d’un symposium du réseau ArcticNet, les détails entourant le détachement du plateau de glace d’Ayles ont été rendus publics. Grâce à des photos satellitaires, des chercheurs du Service canadien des glaces ont déterminé que le décollement complet de ce plateau était survenu en moins d’une heure le 13 août 2005. Le plateau d’Ayles était un immense bloc de glace couvrant 88 km2, dont l’épaisseur atteignait jusqu’à 37 mètres. Les vibrations causées par son détachement ont été perçues par des capteurs sismiques situés à 250 km de l’endroit. Depuis, cet immense glacier, qui fait maintenant 66 km2, soit plus de 30 fois la taille du campus de l’Université, s’est déplacé à 50 km des côtes et il pourrait poser des risques pour la navigation s’il poursuivait sa route vers le Sud.

En 2003, Warwick Vincent et Derek Mueller rapportaient que le plateau de glace de Ward Hunt, situé à une cinquantaine de kilomètres du plateau d’Ayles, s’était brisé soudainement entre 2000 et 2002, sans toutefois se détacher des côtes. Ce plateau de 443 km2 – un peu plus petit que l’île de Montréal – est le plus vaste de l’Arctique. Il a commencé à se former il y a 4 500 ans et il a atteint sa pleine expansion il y a 3 000 ans. Les chercheurs ont établi que la structure s’était d’abord brisée en deux, avant que des fissures secondaires ne la scindent davantage. Le fractionnement du plateau a engendré de nombreux icebergs, dont des îles de glace faisant des kilomètres de longueur.

Le décollement d’Ayles et le fractionnement de Ward Hunt ont sonné le glas d’écosystèmes très rares dans l’Arctique. En effet, ces plateaux de glace faisaient office de barrage à l’embouchure de deux imposants fjords dont la profondeur atteignait 400 mètres par endroits. À Ward Hunt, les 43 premiers mètres d’eau de surface du fjord étaient constitués d’eau douce provenant de la fonte de la neige et de la glace des côtes adjacentes, ce qui en faisait le plus grand «lac» de ce genre dans l’hémisphère Nord. Des communautés exceptionnelles de plancton d’eau douce et d’eau salée proliféraient dans ces conditions singulières depuis plus de 3 000 ans. Aux deux sites, la rupture du plateau de glace a provoqué le drainage de presque toute l’eau douce, condamnant ces écosystèmes très rares à un bouleversement majeur. Le même sort guette les étangs glaciaires qui se formaient chaque année sur les plateaux à la faveur de l’été boréal. Warwick Vincent et son équipe du Centre d’études nordiques y menaient des travaux dans le cadre d’ArcticNet pour mieux comprendre comment s’organise la vie dans des conditions extrêmes rappelant celles qui prévalent pendant les glaciations ou même sur d’autres planètes.

Les causes précises du décollement d’Ayles et du fractionnement de Ward Hunt sont inconnues, mais la superficie des plateaux de glace d’Ellesmere a diminué de 90 % depuis un siècle. « Le réchauffement climatique de l’Arctique, observé depuis le début du 19e siècle, se serait accentué au cours des trois dernières décennies », commente le professeur Vincent. Il ne reste maintenant que cinq plateaux de glace dans l’Arctique canadien, dont un seul, celui de Milne, abrite encore un écosystème étagé d’eau douce et d’eau salée. « Il est très complexe de prédire ce qui va advenir des plateaux de glace encore intacts, mais leur situation est précaire », estime le chercheur.

sources : http://www.actualites-news-environnement.com / http://www.sur-la-toile.com

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