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Les fluctuations du climat

fluctuations climatiques

fluctuations climatiquesLes hommes ont toujours été attentifs au temps qu’il fait, parce qu’ils en étaient largement dépendants et que leur vie sociale et économique s’organisait autour de lui. Les archives nous en apportent la preuve.

Et si les causes de certains grands événements historiques étaient à rechercher du côté du climat ? Sous l’Ancien Régime, l’évolution de la population et la conjoncture économique dépendaient bien souvent du temps qu’il faisait. Vagues d’épidémies et de mortalité, mauvaises récoltes et disettes, extension ou rétractation des surfaces cultivées, le sort quotidien des sociétés traditionnelles était soumis aux caprices de la météo.

 

 

Mais comment savoir si l’été de la Saint-Barthélemy fut chaud ou frais ? Si telle ou telle bataille de la guerre de Cent Ans s’est livrée par temps de pluie ou sous le soleil ? Si les courtisans de Louis XIV devaient revêtir de chaudes houppelandes de laine ou de légers corsages de coton ?

Passionné depuis longtemps par l’histoire du climat, Emmanuel Le Roy Ladurie a recensé tous les moyens à la disposition du chercheur pour se faire une idée des températures du temps passé. Parmi ces outils, on trouve en premier lieu les très vieux arbres, dont l’âge est facile à calculer à partir des cernes du tronc fraîchement coupé. À chaque année de croissance correspond un cerne plus ou moins épais. Les années favorables, le cerne est large, l’arbre a beaucoup grossi. Les années néfastes, le cerne est aminci, l’arbre a gardé autant que possible l’énergie nécessaire à sa survie. Le premier champ d’expérimentation de ce type de datation est le Grand Ouest américain : on y trouve des séquoias dont certains ont plus de 1 500 ans. En comparant la coupe des troncs avec celle des poutres utilisées dans la construction de villages par les Amérindiens, on peut dater avec précision l’année du XIIIe siècle durant laquelle certaines communautés, dont la population n’utilisait aucune forme d’écriture, se sont installées. On peut ainsi se faire une idée des changements du climat américain. La croissance des chênes appliquée en Europe a permis de repérer les années froides et humides et les années de sécheresse.

Mais le travail de l’historien repose sur le croisement des sources. Aussi Le Roy Ladurie s’est-il également intéressé aux dates de floraison, de moisson et, surtout, aux dates de vendanges, toujours précisément notées dans les registres municipaux des communes viticoles d’Europe. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la décision de vendanger n’était pas individuelle : des experts étaient nommés par la communauté afin de juger de l’état de mûrissement du raisin et le ban des vendanges était ordonné collectivement. Car en Europe, le goût est vif pour le vin à une époque où l’eau est généralement insalubre et provoque des maladies souvent mortelles. « Année sèche, année de vin », dit un dicton paysan. Ainsi apprenons-nous qu’en l’année 1718, les vendanges furent précoces de la Forêt-Noire au Languedoc et que le vin fut d’une qualité exceptionnelle. Nul doute que ce fut une année de fortes chaleurs. De ces observations, il faut cependant exclure la récolte des vins fins, vendangés tard : pour obtenir des vins de grande qualité, le vigneron, au XVIIe siècle comme aujourd’hui, peut attendre l’extrême limite pour vendanger afin de recueillir un raisin presque sec donnant un vin moelleux et sucré. Dans une autre région du monde, au Japon, c’est la date de floraison des cerisiers, événement social majeur, qui était inscrite sur les registres publics.

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Autre indice précieux pour l’historien : l’avancée des glaciers alpins, bien visible sur certaines gravures anciennes, atteste de précipitations neigeuses abondantes, donc de températures basses. L’hiver froid favorise la formation d’une glace abondante, l’été frais l’empêche de fondre de manière importante. À l’inverse, le recul des glaciers prouve une augmentation des températures qui favorise la fonte des névés. Les langues glaciaires peuvent reculer de quinze mètres en un seul été. Combinés à la datation au carbone 14 des moraines chamoniardes, ces éléments apportent la preuve d’une forte poussée glaciaire entre 1600 et 1710, c’est-à-dire durant les règnes d’Henri IV, Louis XIII et Louis XIV. La chapelle rurale Saint-Théodule, dite du Châtelard, édifiée près de Chamonix, conserve encore le souvenir du village du Châtelard recouvert par le glacier des Bois (ancien nom de la Mer de Glace) au début du XVIIe siècle. Le petit sanctuaire fut sans doute édifié pour protéger les autres villages menacés par l’avancée du glacier progressant en un mois « de plus d’une mousquetade ». Les recettes de la dîme, impôt de 10 % prélevé par l’Église sur les récoltes soigneusement consigné dans les livres de comptes, font également apparaître les années de bonnes et de mauvaises moissons. Enfin, quand les paroissiens de Périgueux organisent une procession en l’honneur de sainte Sabine au début de l’été 1654, ils en attendent la pluie indispensable à la croissance des blés. Nous sommes donc en année de sécheresse remarquable.

Pour confirmer ces hypothèses climatiques, des sources écrites nombreuses mais manquant de précision existent. Les curés de village, les notaires, certains épistoliers font référence au temps qu’il fait. Ainsi Mme de Sévigné écrivant à sa fille, qui se trouve en Provence, au mois de juin 1675 : « Il fait un froid horrible, nous nous chauffons et vous aussi, ce qui est une bien grande merveille. » Dans une société rurale où le pain est l’ordinaire de l’alimentation, le prix du blé, les quantités de céréales disponibles, les menaces qui pèsent sur les moissons sont observés avec inquiétude par toute la population. Du ciel dépend la subsistance des peuples. La famine est le grand fléau, car ceux qui ne sont pas morts de faim sont emportés par la maladie qui fauche les corps dénutris.

Outil de mesure scientifique, le thermomètre est inventé par l’Allemand Daniel Gabriel Fahrenheit en 1717. Il devient l’instrument de prédilection de la science météorologique au XIXe siècle. À partir de cette époque, nous disposons pour l’Europe de relevés réguliers permettant de constituer de longues séries que l’on peut comparer sur des décennies. Les températures, mesurées et établies sur plus d’un siècle, attestent la réalité des périodes de refroidissement et de réchauffement. Ce ne sont plus des impressions mais des courbes rigoureusement établies.

Les indices d’abord, les instruments de mesure ensuite, permettent de reconstituer la succession de petits âges glaciaires et d’époques de réchauffement depuis mille ans en Europe. Parmi les séries remarquables, le réchauffement du début du Xe siècle à la fin du XIIIe a créé un environnement favorable à la croissance de la population européenne, au défrichement des forêts et à l’expansion économique. Puis, le refroidissement a coïncidé avec la Peste noire, au milieu du XIVe siècle, et la guerre de Cent Ans. La seconde partie du règne de Louis XIV, à partir de 1675, fut froide et humide, ajoutant le manque de nourriture à la guerre incessante. Depuis 1860, nous vivons une grande phase de remontée des températures. À défaut de savoir si l’homme a une influence sur le climat, celui-ci a en tout cas une influence sur l’histoire des hommes.

La désastreuse récolte de 1788 laissa si peu de blé pour les semailles qu’au moment de la “soudure” avec la récolte de 1789, le prix du pain atteignit des sommets : le mécontentement populaire alimenta les doléances des délégués aux états généraux de Versailles, début de la Révolution française.

Pendant l’hiver 1962-1963, la mer gèle sur les côtes de la Manche

Un vigneron des environs de Meaux en témoigne dans son journal : « L’année 1788, il n’a point fait d’hiver. Le printemps n’a pas été favorable au bien de la terre. Il a fait froid au printemps. Les seigles n’étaient guère forts. Les blés étaient assez forts mais la trop grande chaleur a fait échauder les blés de sorte que la récolte des grains a été petite […] le 13 juillet, il est arrivé une nuée de grêle qui a commencé au-delà de Paris, a traversé toute la France jusque dans la Picardie. Elle a fait un grand tort. La grêle pesait 8 livres, elle a haché les grains et les arbres. Par où elle a passé, elle a traversé deux lieues de large sur cin quante lieues de long. Il s’est trouvé des chevaux de tués… »

Pour autant, tous les événements historiques ne s’expliquent pas nécessairement par le climat. En 1399, l’abbé de Saint-Denis envoie deux enquêteurs sur ses vignobles au nord de Paris. Ces parcelles jadis si prospères ne lui rapportent presque plus rien. S’agit-il d’une baisse de rendement due à un refroidissement climatique ? Voici le rapport écrit par ces deux contrôleurs, au raisonnement digne de notre siècle : cultivé, le carré de vigne rapporterait 128 sous à l’arpent et sa culture ne poserait aucun problème.

Mais « le seul labourage de votre vigne [sans compter le coût de la vendange elle-même, toujours élevé] vous fera dépenser 140 sous à l’arpent, soit plus que le revenu tiré de la vente du vin correspondant », du fait du renchérissement de la main-d’oeuvre devenue rare à cause des épidémies de peste. Et nos deux moines enquêteurs de conclure : « Le mieux donc est d’abandonner l’activité viticole. Elle n’est plus rentable. » Les abbayes étaient les grandes entreprises du Moyen Âge et leur gestion ne laissait place à aucune approximation.

Au cours du XXe siècle, quelques hivers ont marqué les mémoires : ceux de la Seconde Guerre mondiale parurent d’autant plus terribles qu’ils s’ajoutaient à une pénurie de moyens de chauffage, de nourriture et de vêtements. L’hiver 1962-1963 reste celui où la mer a gelé sur les côtes de la Manche. Quant à la canicule de 2003, terrible pour ses contemporains, elle n’est qu’une réédition de catastrophes oubliées qui frappèrent nos ancêtres. Claire L’Hoër

À lire D’Emmanuel Le Roy Ladurie

les Fluctuations du climat de l’an mil à aujourd’hui, avec Daniel Rousseau et Anouchka Vasak, Fayard, 332 pages, 22 €.

source : http://www.valeursactuelles.com

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