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Les cyclones sèment la tempête chez les scientifiques

Voici un article qui met le trouble chez les scientifiques et dont les modèles statistiques sont remis sérieusement remis en cause. Bien des données étaient dans le flou concernant les ouragans. L’année cyclonique 2005 apporte la preuve que les modèles peuvent être erronés.

Certains jettent l’éponge face à des évènements climatiques de plus en plus incertains. Ainsi il y a encore très peu de temps, dans le monde scientifique, personne n’imaginait que les ouragans pouvaient s’amplifier. Voici…

Courrier international n° 793, 12/01/06
Fred Pearce, New Scientist

L’augmentation de la température a-t-elle des effets sur les ouragans ? C’est la question qui divise actuellement les chercheurs. New Scientist fait le point sur ce débat agite et plein de rebondissements.
Que se passe-t-il, au juste ? Les cyclones se font-ils plus dévastateurs sous l’effet du réchauffement climatique ? Il n’y a pas si longtemps, les experts étaient unanimes. La recrudescence des ouragans dans l’Atlantique s’inscrivait dans un cycle a long terme parfaitement normal ; rien n’indiquait que le réchauffement augmentait leur puissance et leur fréquence ou que ce soit dans le monde. Quant a l’avenir, on n’en savait rien parce que les modèles ne permettaient pas de prédire les effets du changement climatique sur les tempêtes tropicales. Tel était le consensus officiel en 1996. Deux ans plus tard, certains chercheurs de pointe, comme William Gray, de l’université d’Etat du Colorado, et Kerry Emanuel, du Massachusetts Institute of Technology (MIT), sont même allés un peu plus loin. Dans un article publie en 1998 dans le Bulletin of the American Meteorological Society, ils concluaient qu’un doublement du niveau de dioxyde de carbone dans l’atmosphère n’affecterait ni la fréquence des cyclones tropicaux, ni les zones qu’ils touchent et n’accroîtrait leur intensité que de 10 % environ.

Le Japon a connu dix typhons en 2004
Ce consensus a aujourd’hui vole en éclats. Plusieurs publications remettent en question toutes ces suppositions et affirment que l’élévation de la température au cours des trente dernières années a d’ores et déjà accru la force des ouragans. Ceux-ci ne sont pas plus fréquents mais plus intenses ; leurs vents et les précipitations qui les accompagnent sont plus forts, leur durée est plus longue et leur trajectoire encore moins prévisible qu’avant. Et le pire est peut-être a venir. “La poursuite du réchauffement risque d’accroître le potentiel destructeur des cyclones tropicaux et, avec l’accroissement des populations côtières, d’augmenter de façon substantielle le nombre des victimes dues aux ouragans au XXIe siècle”, écrit Kerry Emanuel, qui prend désormais un ton bien plus alarmant et se dissocie de son ancien collègue. Ce genre de déclaration a provoque un schisme parmi les grands prêtres de la prévision des cyclones. Alors, qui a raison ?
Il se produit chaque année dans le monde environ 85 tempêtes tropicales, dont environ les deux tiers atteignent le stade du cyclone. Si leur nombre ne varie pas énormément d’une année sur l’autre, il n’en va pas de même de leur répartition. Quand la situation est favorable a la formation d’ouragans dans l’Atlantique, elle y est défavorable dans le Pacifique et vice versa. L’Atlantique a été très agite cette année, mais le Pacifique relativement calme. Le centre mondial de l’activité cyclonique se situe dans l’Ouest du Pacifique Nord, où se produisent plus du tiers de l’ensemble des ouragans. Le Japon a, a lui seul, été frappe par dix typhons (le nom local de l’ouragan) en 2004, soit trois fois le nombre habituel.
Les cyclones tropicaux commencent avec une masse nuageuse qui se forme quand de l’air chaud et humide s’élève à la surface d’un océan tropical. Au fur et a mesure qu’il s’élève, la vapeur d’eau se condense et libère une énergie latente qui réchauffe l’air et l’envoie encore plus haut. C’est cette énergie latente qui provoque la formation des ouragans. Si la masse nuageuse est suffisamment grande, elle peut constituer ce qu’Emanuel appelle une “colonne” d’air humide, laquelle s’étend de la surface de l’océan jusqu’a la limite de la stratosphère. La zone de basse pression a la base de la colonne aspire de l’air supplémentaire, qui accumule de l’énergie a la surface de la mer et en relâche au fur et a mesure qu’il s’élève, ce qui fait encore baisser la pression. Si l’on se trouve à plus de 4° au Nord ou au sud de l’équateur, la force de Coriolis – force centrifuge induite par la rotation de la Terre – met le cyclone en rotation. Si les conditions sont favorables, un cyclone tropical gagne rapidement en force. La vitesse des vents augmente et la dépression se transforme en tempête puis en ouragan. Sa puissance est alors énorme. Selon les calculs de Chris Landsea, de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) des Etats-Unis, a Miami, un ouragan classique peut libérer plus de 1 milliard de milliards de joules par jour, l’équivalent d’environ 1 million de bombes de type Hiroshima. Heureusement pour nous, la plus grande partie de cette énergie sert à déplacer l’air vers le haut et non sur les cotes.

Il existe deux façons d’apaiser un cyclone
A première vue, le réchauffement climatique ne peut qu’aggraver les choses. La colonne d’air humide ne se forme en général que quand la température a la surface de la mer est supérieure a 26 °C. Si les océans se réchauffent, les zones dépassant ce seuil seront plus étendues. Et tout dépassement de ce seuil semble accroître la force des ouragans. Quand l’ouragan Katrina a atteint la catégorie 5, au mois d’août 2005, la température tournait autour de 30 °C a la surface du golfe du Mexique. Voila pourquoi certains considèrent que, avec le réchauffement, on aura davantage de cyclones, qu’ils seront plus forts et qu’ils toucheront également des lieux qui n’en connaissent pas actuellement. Mais le monde n’est pas aussi simple. Comme William Gray, l’un des fondateurs de la science des ouragans, l’a fait remarquer, un cyclone ne peut se former que si un ensemble de conditions atmosphériques sont réunies. La différence entre la température de la mer et celle de l’air qui est au-dessus constitue l’une d’entre elles. C’est elle qui provoque les courants de convection indispensables a la formation des premiers nuages de tempête. Si, comme le suggèrent les modèles informatiques, le réchauffement climatique élève la température moyenne aussi bien dans la haute atmosphère qu’a la surface des océans, il faudra que celle-ci soit encore plus chaude pour qu’il y ait des ouragans et le potentiel générateur des tropiques restera sensiblement le même.
Il y a d’autres complications. Même quand toutes les conditions sont réunies, un ouragan ne se déclenche pas sans une perturbation atmosphérique. Et, même s’il y en a une, la plupart des tempêtes tropicales se calment d’elles-mêmes sans atteindre le stade du cyclone. S’il est important de savoir si le réchauffement climatique provoquera les conditions nécessaires a la formation des ouragans, il est donc tout aussi essentiel de savoir s’il augmentera les probabilités qu’ils se déclenchent et, une fois formés, celles qu’ils s’apaisent.
Il y a deux façons d’apaiser un cyclone. La première, c’est de lui supprimer son carburant – l’air chaud et humide provenant des eaux chaudes de l’océan. C’est évidemment ce qui arrive quand il passe au-dessus de la terre ferme. Mais c’est également possible en mer. Au fur et a mesure que la tempête croit en force, les vagues font remonter l’eau fraîche des profondeurs a la surface, qui refroidit. Cela suffit parfois a mettre fin a l’ouragan, en particulier s’il se déplace lentement. Un cyclone ne peut donc atteindre une forte intensité que si la mer est chaude jusqu’a des dizaines de mètres sous la surface. Katrina a gagne en force en se dirigeant vers La Nouvelle-Orléans parce que l’eau était chaude jusqu’a plus de 100 mètres de profondeur. Les effets du réchauffement climatique semblent ici évidents. Si la chaleur s’étend encore plus en profondeur dans les océans du monde, on aura les conditions idéales pour la multiplication des ouragans.
Mais il y a une autre façon d’apaiser les cyclones, qui pourrait bien avoir l’effet oppose. Les vents peuvent disperser la colonne d’air humide en y introduisant de l’air sec, ce qui empêche la formation de la masse orageuse, où sont les nuages. Il suffit de peu de vent pour réduire à néant un ouragan potentiel. Les modèles climatiques informatiques ne permettent pas de reproduire fidèlement des phénomènes a petite échelle comme les cyclones, mais la plupart suggèrent que le réchauffement accroîtra la vitesse du vent dans les couches supérieures de l’atmosphère, de telle sorte qu’elle dispersera les ouragans.

Prévisions ou extrapolations statistiques ?
Avec toutes ces incertitudes et ces contradictions, il n’est pas étonnant que les différents modèles prédisent tout et son contraire. Et le fait que les meilleurs modèles ne permettent pas vraiment de prédire les cyclones n’arrange rien. “Si nous pouvions comprendre pourquoi le monde enregistre environ 85 ouragans par an et non, par exemple, 200 ou 25, nous pourrions peut-être en savoir plus sur les effets probables du réchauffement de la planète”, explique Peter Webster, du Georgia Institute of Technology, a Atlanta. “Sans cette compréhension, les prévisions ne sont que des extrapolations statistiques.” Devant la somme des incertitudes, les chercheurs étaient jusqu’a récemment unanimes pour affirmer qu’il était impossible de prévoir avec exactitude, zone par zone, les conséquences du réchauffement climatique sur les cyclones. Sur l’ensemble du globe, la théorie et les modèles les plus récents ne prédisaient qu’un faible accroissement de leur intensité.
Kevin Trenberth, du National Center for Atmospheric Research, a Boulder, dans le Colorado, a été le premier a sortir des rangs. En octobre 2004, alors que l’Atlantique avait connu un nombre record d’ouragans, il affirmait que le réchauffement climatique avait déjà des effets. “La température élevée a la surface de la mer provoque des tempêtes plus intenses, ce qui est cohérent avec ce que nous constatons”, expliquait-il, lançant ainsi la polémique.
Furieux de ces déclarations, Chris Landsea, qui travaillait a l’époque avec Kevin Trenberth sur un chapitre du rapport du groupe de travail intergouvernemental sur le changement climatique (IPCC) consacre entre autres aux ouragans, a démissionne. “Je ne peux pas continuer à participer à un processus que je considère comme scientifiquement douteux et guide par des idées préconçues”, a-t-il écrit pour se justifier. En août 2005, Kerry Emanuel a publie une étude qui suggère non seulement que Trenberth avait raison, mais que la tendance est déjà bien plus marquée que ce qu’on imaginait. Après avoir épluche les statistiques sur l’intensité des ouragans des cinquante dernières années, Emanuel concluait que les derniers ouragans durent en moyenne 60 % plus longtemps et que la vitesse de leurs vents est de 15 % plus élevée. L’augmentation peut paraître faible, mais les dégâts causes par un cyclone ne sont pas directement proportionnels a la vitesse du vent, mais au cube de celle-ci. Ces résultats laissent donc entendre que la capacité destructrice d’un ouragan classique a augmente de plus de 50 %. “Ce travail implique que l’activité cyclonique tropicale réagit plutôt largement au réchauffement de la planète”, affirme Emanuel. “Je faisais pourtant moi-même partie des sceptiques il y a un an”, ajoute-t-il.
Un mois plus tard, Peter Webster et Greg Holland, du NOAA, ont également publie des études confortant les conclusions de Kevin Trenberth. “Nous nous étions lances la-dedans parce que nous ne pensions pas que ce qui s’est passe avec les ouragans de l’Atlantique était du, comme il l’affirmait, au réchauffement climatique, raconte Webster. Et nous avons fini par penser que ses conclusions étaient en partie vraies.” S’il n’y a pas eu d’augmentation générale du nombre des ouragans, Webster et Holland concluent que celui des tempêtes les plus fortes a quasiment double depuis le début des années 1970. La tendance est, selon eux, mondiale et clairement liée à l’élévation de la température a la surface des mers du globe.

L’ouragan le plus puissant : Tip, en 1979
La polémique s’est donc amplifiée. Dans une réponse détaillée postée sur son site à la mi-octobre 2005 (tropical .atmos.colostate.edu), Gray affirme que les calculs d’Emanuel “ne sont pas réalistes” et que les découvertes de Webster ne “sont pas plausibles physiquement”. Mais Webster relève que Gray n’a contribue qu’a un seul article sur le réchauffement de la planète et les ouragans. “Nous répondons à quelqu’un qui n’a pas fait de recherches sur ce sujet.” Quel est donc l’objet de la controverse ? Pour dire les choses simplement, Gray pense que ces deux articles reposent sur des données erronées. Selon lui, les mesures recueillies entre 1973 et 1986 dans le Pacifique Ouest, la plus grande zone d’activité cyclonique, en particulier par des avions qui pénétraient dans l’œil du cyclone, ne sont pas fiables. A l’époque, on avait adopte une nouvelle méthode pour estimer la vitesse des vents à partir des mesures brutes, dont tous les chercheurs reconnaissent aujourd’hui qu’elle produisait systématiquement des résultats inférieurs à la réalité. Les calculs d’Emanuel sont donc biaises. “Si on laisse de cote cette période atypique, on ne constate pas grand changement”, explique Gray. Si l’on exclut les données défectueuses, conclut-il, on ne relève aucune tendance digne de ce nom hormis dans l’Atlantique Nord, où la récente recrudescence des ouragans s’explique par un cycle naturel bien connu.
Ni Emanuel ni Webster ne contestent l’existence de problèmes de pertinence des données, mais ils affirment tous les deux avoir fait les corrections nécessaires. Webster ajoute que tous ses chiffres datent d’après 1970, une période ou les mesures par satellite complètent celles effectuées par avion, et accuse Gray de “se raccrocher à du vide”. Cette controverse s’explique peut-être en partie par les différences de perspectives des protagonistes. Les prévisions de Gray reposent largement sur des homologies avec le passe. Les climatologues cherchent, eux, à mettre en lumière des tendances a long terme. Ils étudient les différences, non les similitudes. De même, Gray s’intéresse essentiellement aux ouragans qui se produisent dans l’Atlantique, soit 10 % du total, alors que tout le monde admet que la fréquence et l’intensité des tempêtes y sont largement commandées par un cycle naturel. Webster et Emanuel s’intéressent aux autres ouragans qui se produisent dans le monde et qui représentent 90 % des cyclones.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Les derniers ouragans n’ont pour le moment rien d’extraordinaire. Celui qui a frappe Galveston, au Texas, en 1900 a tue plus de personnes que Katrina en 2005. Et tous deux font pale figure à cote de celui qui a touche le Pakistan oriental en 1970 et qui a probablement fait 500 000 victimes. Tip, l’ouragan le plus puissant jamais enregistre, s’est produit en 1979 avec une pression de 870 millibars en son centre, des vents de 300 kilomètres-heure et un diamètre de 2 174 kilomètres. Heureusement, il s’était considérablement affaibli avant de balayer le Japon. Il est donc parfaitement inutile de disputer le rôle éventuel du réchauffement climatique sur les divers cyclones qui se sont produits récemment. En fait, Emanuel estime que le nombre d’ouragans frappant les Etats-Unis est tellement faible qu’il faudra cinquante ans pour pouvoir y détecter une tendance nette. Pour l’ensemble de l’Atlantique Nord, en revanche, la recrudescence des ouragans enregistrée au cours des dix dernières années est, selon lui, “sans précédent et reflète probablement les effets du réchauffement de la planète”.

Et si les cyclones étaient encore plus puissants ?
Certains signes indiquent donc que l’homme y a une part de responsabilité. Et, si rien n’est encore prouve, on ne peut pas pour autant faire comme si de rien n’était. La découverte la plus frappante d’Emanuel et de Webster est l’existence d’un lien étroit entre la température a la surface de la mer et la force d’un cyclone. Pour le moment, du moins, l’idée que des mers plus chaudes provoquent des ouragans plus forts semble fondée. Ce qui inquiète un nombre croissant de chercheurs, c’est la possibilité que cette tendance se poursuive, que les cyclones gagnent substantiellement en puissance avec l’accroissement de la quantité d’énergie dégagée par un monde plus chaud.
Même une faible augmentation de la vitesse du vent, des précipitations ou de la puissance des ouragans peut avoir des conséquences terribles sur les hommes. On pourrait réduire considérablement ces effets en mettant notamment un terme a l’urbanisation dans les zones les plus vulnérables et en construisant des bâtiments plus résistants au vent et aux inondations. La question que devraient se poser les autorises n’est donc peut-être pas de savoir si Emanuel et Webster ont raison, mais si on peut se permettre de supposer qu’ils ont tort.

Catégories
Les ouragans sont classes en fonction de la vitesse de leurs vents sur l’échelle dite de Saffir-Simpson. Pour une vitesse comprise entre 119 et 153 km/h, ils entrent dans la catégorie 1, jusqu’a 177 km/h dans la catégorie 2, et jusqu’a 209 km/h dans la catégorie 3. A partir de ce niveau, les maisons préfabriquées sont détruites et les grands arbres abattus. Avec la catégorie 4 – jusqu’a 249 km/h –, les toits des maisons peuvent être arraches. Au-dessus de cette vitesse, les ouragans de catégorie 5 sont capables de détruire complètement certains bâtiments.
Vocabulaire
Les termes “ouragan” et “typhon” désignent le même phénomène climatique : un cyclone tropical (du grec kuklos, cercle). “Ouragan” (de l’espagnol des Caraïbes huracán) est utilise dans l’Atlantique Nord ainsi que dans l’est et le sud de l’océan Pacifique, tandis que “typhon” (du chinois tai feng, grand vent) l’est dans le Nord-Ouest du Pacifique. On utilise le terme de “cyclone tropical” dans le Pacifique Sud-Ouest et dans l’océan Indien.

accents : la Terre du Futur

source : courrierinternational.com / Liste Nicolas Hulot

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