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La première ville écologique sera chinoise

Nous sommes en 2010 à Dongtan, première « ville écologique » du monde. Née de rien, au milieu des marais, la cité se situe à l’extrémité orientale de Chongming, la troisième plus grande île chinoise, à l’embouchure du Yangzi.

Aucun des immeubles ne dépasse huit étages. Les toits sont recouverts de gazon et de plantes vertes pour isoler les bâtiments et recycler l’eau. La ville réserve à chaque piéton six fois plus d’espace que Copenhague, l’une des capitales les plus aérées d’Europe. Des bus propres, à piles à combustible, relient les quartiers. Un système d’Intranet planifie la durée du trajet et met en contact les habitants désireux de partager une voiture. Les motos traditionnelles sont interdites : on circule en scooter électrique ou à bicyclette. Les routes ont été dessinées de telle sorte qu’il est plus rapide de rejoindre son travail à pied ou à vélo qu’en voiture…

Jusqu’à 80 % des déchets solides sont recyclés. En flambant dans une centrale thermique, les déchets organiques génèrent une partie de l’électricité. On y brûle également les cosses de riz, très calorifiques, abondantes en Chine. Au loin, des éoliennes géantes, propulsées par l’air marin, produisent, elles aussi, du courant. Chaque immeuble possède ses propres éoliennes, de petite taille, et des panneaux à cellules photovoltaïques. La ville s’étire au bord d’un canal. Au coeur d’une réserve naturelle d’une biodiversité exceptionnelle, Dongtan est, en cette année 2010, l’une des attractions offertes aux visiteurs de l’Exposition universelle de Shanghaï. Un gigantesque pont-tunnel rapproche, en quarante-cinq minutes, la ville écologique et la mégalopole.

Revenons en 2006. Le projet futuriste de Dongtan répond à une évidence : la nécessité pour la Chine, emportée dans une folie constructrice, de privilégier désormais la qualité de sa croissance. Cela suppose une stratégie d’urbanisation radicalement nouvelle, écologiquement durable, alors que le pays va être le théâtre de la plus spectaculaire migration dans l’histoire de l’humanité. D’ici à 2020, la Chine va devoir construire 400 villes nouvelles, soit une vingtaine par an, pour accueillir plus de 300 millions de ruraux. D’où la volonté de créer dans l’île de Chongming une cité exemplaire.

Le projet a été confié depuis sept ans à la société mixte Shanghai Industrial Investment Corporation (SIIC), qui a fait appel pour la conception de Dongtan à un géant du conseil en ingénierie, le britannique Arup. Cette société, qui travaille depuis vingt ans en Chine, est intervenue sur le projet architectural des Jeux olympiques de Pékin de 2008. Preuve de l’importance politique de l’opération Dongtan : le contrat a été signé, en novembre 2005, au 10 Downing Street en présence de Tony Blair et du président chinois Hu Jintao, en visite à Londres. Et deux autres villes nouvelles « écologiques » ont été commandées en sus.

Pour l’instant, un demi-million de personnes habitent l’arrondissement de Chongming, relié à la périphérie de Shanghaï par des vedettes rapides et des ferries. Elles vivent dans deux petites villes et une multitude de villages encore épargnés par le développement effréné de la zone. Une autoroute, souvent déserte, traverse déjà l’île. C’est ici que Dongtan comptera entre 50 000 et 80 000 habitants en 2010, puis 500 000 en 2050, selon les prévisions.

« En vingt ans, constate Ma Chengliang, directeur de SIIC Dongtan, l’économie chinoise a crû tellement vite que nous souffrons déjà de pénuries d’énergie. Si on veut poursuivre au même rythme, il faut résolument opter pour un développement durable. Il faut faire à Dongtan la démonstration de ce qui est possible en matière d’énergies renouvelables, de transports propres et de modes de vie. Le modèle a été imaginé pour s’étendre au reste de Chongming, et pour servir d’exemple à toute la Chine. » Sur place, Alejandro Gutierrez, architecte en chef d’Arup, explique : « Dongtan sera une ville compacte. On s’inspirera de la tradition urbaine chinoise, qui donne une grande place à l’eau. La composante sociale sera essentielle : une population diversifiée, bénéficiant d’une proportion de logements au prix abordable, au moins 30 000 emplois sur place, des écoles et un hôpital, pour éviter une dépendance envers Shanghaï. »

L’originalité essentielle de Dongtan tient, bien sûr, à son concept écologique. Dans son bureau londonien, Peter Head, directeur d’Arup, fait l’inventaire des innovations techniques qui permettront à la ville d’atteindre, espère-t-il, l’objectif fixé : une « empreinte écologique de 2 hectares par personne, trois fois plus qu’aujourd’hui à Shanghaï, Londres ou Paris ». Cette « empreinte » est une unité de calcul représentant la superficie de terre nécessaire pour assurer la survie d’un individu.

Entouré de kilomètres de marais, paradis des oiseaux qui migrent entre l’Australie et la Sibérie, le site de Dongtan veut, par exemple, préserver la qualité de l’air. Les voitures ne devront donc émettre aucune particule de carbone et des stations-service à hydrogène seront mises en place. Les exigences des urbanistes ont conduit les ingénieurs d’Arup à imaginer des véhicules petits, légers, peu gourmands en énergie, aptes à rouler très près l’un derrière l’autre pour occuper un espace routier minimal. Dongtan se veut également autosuffisante en énergie. Celle-ci devrait provenir totalement de sources renouvelables : solaire, éolienne, biomasse.

Les concepteurs savent cependant qu’entre ce projet « idéal » et sa réalisation demeurent des interrogations de taille : « Vous avez beau concevoir, par le design et les matériaux, des logements qui permettent de ne consommer que les deux tiers de l’énergie utilisée en temps normal, certains comportements individuels peuvent bouleverser vos prévisions. C’est là que doit entrer en jeu un mélange de règlements, d’éducation et d’incitations tarifaires pour motiver les habitants et juguler les excès »,explique M. Gutierrez.

Lorsque le feu vert sera donné au « plan directeur » d’Arup, sans doute avant fin 2006, les choses devraient aller très vite. La ville sera construite en moins de quatre ans. Peut-on imaginer des centaines, des milliers de Dongtan, ailleurs dans le monde ?« Aucun doute, assure Peter Head. Les matériaux et les formes seront différents, mais les principes et la méthode resteront les mêmes. » Pourvu, ajoute-t-il, que des gens « croient à ce type de projet et l’épaulent fortement, ce qui est le cas en Chine ».

Jean-Pierre Langellier à Londres et Brice Pedroletti à Shanghaï

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